# 3 / 2023
27.02.2023

Imposition minimale de l’OCDE: garantir les recettes fiscales, préserver la compétitivité

Objectif: maintenir l'attractivité, garantir les recettes fiscales

La Suisse est l'un des principaux lieux d'implantation des entreprises au monde. L'une des raisons en est la charge fiscale attrayante en comparaison internationale. L'impôt minimum de l'OCDE va relativiser cet avantage. L'avance sur les États à fiscalité élevée diminue, un critère de différenciation perd de son poids. La limitation de la concurrence fiscale est l'objectif déclaré du projet de l'OCDE (cf. chapitre 2).

De la concurrence fiscale à la concurrence entre sites

L'harmonisation internationale de l'imposition des grandes entreprises donne une importance accrue à d'autres facteurs de localisation. Selon le Global Competitiveness Index (GCI) du World Economic Forum, la Suisse est forte en termes d'infrastructures (4e place), de marché du travail ouvert et libéral (2e place), de système éducatif (1ère place), d'endettement (1ère place) et de stabilité macroéconomique et politique (respectivement 1ère et 4e place).

En revanche, son petit marché intérieur (39e place) est un désavantage. L'économie suisse est donc nécessairement très orientée vers l'exportation. Le fait qu'autant d'entreprises actives au niveau international soient implantées en Suisse ne va pas de soi. Ces entreprises sont ici parce que la Suisse est une base attractive pour conquérir les marchés mondiaux. Le libre accès aux grands marchés est donc essentiel. Mais en ces temps de pandémie, de guerre et de crise énergétique, la situation géopolitique est loin de favoriser le libre-échange. D'importantes puissances économiques misent actuellement sur l'isolement, le protectionnisme et une politique industrielle dirigée par l'État. Les États comme la Suisse doivent s'efforcer de manière ciblée de préserver et de développer les facteurs de localisation.

C’est d'autant plus vrai que lorsque leur structure de coûts est élevée, ce qui est souvent le cas. Les salaires élevés (cf. figure 11), les loyers et les prix de l'immobilier onéreux sont typiques des pays riches et prospères comme la Suisse. Dans le cas de la Suisse, s'y ajoute le fait que le franc fort fait de notre pays un lieu d'implantation comparativement cher. Les sites concurrents ont souvent des coûts moins élevés dans ces domaines.

Traditionnellement, la Suisse a compensé les désavantages de coûts en offrant aux entreprises une charge modérée. L'impôt minimum de l'OCDE va donc relativiser cet avantage. Pour les entreprises concernées, les impôts et donc les coûts vont augmenter. Le Conseil fédéral (2022, p. 7) constate: «Pour la Confédération, les cantons et les communes, la compétitivité, les emplois ainsi que les recettes fiscales sont une nouvelle fois en jeu».

Pour que la Suisse puisse continuer à jouer un rôle de premier plan dans la concurrence internationale entre places économiques et profiter de la création de valeur, d’emplois bien rémunérés et d‘impôts élevés payés par un grand nombre d'entreprises internationales, elle doit, plus encore que par le passé, se pencher sur toute la palette des facteurs de localisation, initier des améliorations et mettre en place de futurs développements.

Figure 11: C’est en Suisse que les entreprises paient les salaires les plus élevés. Cela reste rentable, car le pays est extrêmement attractif. Toutefois, avec l'imposition minimale, les coûts fiscaux augmentent et l'un des avantages de la place économique s’en trouve relativisé.

Fédéralisme: la recette du succès de la Suisse

Une raison décisive du succès de la Suisse dans la concurrence entre places économiques réside dans le fédéralisme. La Confédération détermine les conditions-cadre indispensables à l'économie. La stabilité macroéconomique, la politique de sécurité et certains aspects de la sécurité sociale en sont des exemples. Pour ces tâches, la Confédération reçoit d'importantes contributions fiscales de la part des entreprises. Les aspects régionaux et locaux jouent aussi un rôle important. En Suisse, pays aux multiples facettes en raison de sa géographie, de son histoire et de son régime politique, les conditions varient fortement d'un canton à l'autre. Différents secteurs se sont développés pour devenir des moteurs économiques (Clusters en Suisse, en allemand) :

  • Genève et Zoug sont d'importants centres de commerce international,
  • le nord-ouest de la Suisse se caractérise par une industrie pharmaceutique et chimique innovante,
  • Zurich est une place financière de premier plan au niveau mondial,
  • un cluster Medtech et précision s'est étendu sur plusieurs cantons du Plateau,
  • la Suisse romande se caractérise par le leadership mondial de l'industrie horlogère et des biens de consommation,
  • à Saint-Gall et au Tessin, l'industrie du textile et de l'habillement est forte,
  • dans les canton de Vaud et de Schaffhouse, de grandes filiales américaines ont des racines, parfois depuis des décennies,
  • les cantons de montagne ont fortement développé l’activité touristique.

Les cantons et les communes, pour autant qu’elles aient des marges de manœuvre, jouent un rôle essentiel pour créer de bonnes conditions-cadre. De larges compétences dans les domaines de la formation, des infrastructures et de la fiscalité leur permettent de façonner et leur économie. C'était le cas par le passé et cela le restera à l'avenir, dans l'intérêt global du pays. Si des mesures sont jugées nécessaires pour compenser les inconvénients de l'imposition minimale, il est préférable que ce soient les cantons qui les prennent. Les cantons connaissent les forces et les faiblesses de leur économie et ils peuvent agir de manière ciblée. Les cantons économiquement forts, qui comptent de nombreuses entreprises internationales, jouent un rôle considérable pour la prospérité de la Suisse. C'est notamment de leur capacité à réagir à l'introduction de l'imposition minimale que dépendra la capacité de la Suisse à rester un site d'implantation d'entreprises leader et prospère.

En décidant que les cantons peuvent conserver 75% des recettes de l'impôt complémentaire, le Parlement fédéral met les moyens nécessaires à la disposition des cantons. Leur tâche consistera à définir l’utilisation judicieuse, tant pour la population que pour les entreprises, des fonds.

Mesures de promotion acceptées au niveau international

Les mesures de promotion ne doivent pas être en contradiction avec les directives internationales et elles doivent être pertinentes sur le plan économique. Les mesures dans le domaine de la promotion de l'innovation sont par exemple largement répandues et acceptées au niveau international.

Les activités de recherche-développement (R-D) des entreprises sont dans l'intérêt de la société dans son ensemble. Les connaissances créées par la R-D, les nouvelles méthodes, les produits et les processus d'avenir constituent la base d'une croissance durable et d'une prospérité à long terme. C'est pourquoi les mesures de soutien de l'État dans le domaine de la R-D sont la norme dans le monde entier. Elles sont acceptées sous différentes formes.

La Suisse est un pays particulièrement innovant. Elle occupe régulièrement une place de choix dans le Global Innovation Index ainsi que dans le European Innovation Scoreboard et est en tête du classement annuel de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle depuis 2011. Ce succès repose en grande partie sur les activités et les investissements du secteur privé, qui finance près de 70% des investissements en R-D.

Dans le domaine fiscal, la Suisse dispose aujourd'hui de plusieurs instruments pour encourager la R-D. Parmi ces instruments, on trouve la déduction supplémentaire pour les activités innovantes. Un autre instrument, la patent box, permet aux cantons de réduire fiscalement les bénéfices issus des brevets. Ces deux instruments sont très répandus au niveau international. Pour les grandes entreprises internationales soumises à une imposition minimale, ces instruments n'ont souvent qu'un effet limité, voire inexistant. L'allégement fiscal auquel conduisent ces instruments, qui fait passer leur imposition effective en dessous de 15%, peut dès lors donner lieu à un impôt complémentaire, ce qui annule tout ou partie de leur utilité. Pour les entreprises qui ne sont pas soumises à l'imposition minimale, c'est-à-dire pour toutes les PME et les entreprises opérant à l'échelle purement nationale, ces instruments continuent en revanche d'être pleinement efficaces.

Dans ses règles relatives à l'imposition minimale, l'OCDE prend en compte une autre forme d'aide à la R-D, à savoir les crédits d'impôt (tax credits). L'OCDE a défini des conditions spéciales pour ces crédits (Qualified Refundable Tax Credits). Ainsi, les crédits d'impôt ne peuvent pas être liés à la condition qu'une entreprise réalise des bénéfices. Dans les situations de pertes prolongées, le crédit d'impôt doit être versé. Étant donné que l'OCDE considère que l'instrument du crédit d'impôt n'est pas nuisible à l'imposition minimale, il faut s'attendre à ce que de nombreux États se penchent sur cette forme de promotion de la place économique. Plusieurs États connaissent déjà les crédits d'impôt et continueront à utiliser cet instrument.

Des discussions sur la manière de réagir à l'imposition minimale sont en cours dans de nombreux cantons. Comme le Conseil fédéral l'explique dans son message (Conseil fédéral, 2022, p.26), l'accent est mis sur une promotion de la R-D compatible avec les prescriptions de l'OCDE. Le maintien d'emplois à forte valeur ajoutée et hautement qualifiés en Suisse, ainsi que les nombreux effets positifs sur l'économie nationale qui en découlent, sont au premier plan. C'est ce que confirme par exemple le gouvernement du canton de Bâle-Ville, particulièrement exposé dans le domaine de la R-D (RR BS communiqué de presse du 19 janvier 2022). Les mesures envisagées visent à promouvoir la collaboration entre les universités, la médecine de pointe, les entreprises établies et les start-ups ; il s'agit en outre d'augmenter l'attractivité pour les spécialistes.

Pour les directeurs cantonaux des finances (CDF), les mesures dans les domaines de la formation (hautes écoles), de l'énergie, de l'environnement ainsi que du marché du travail sont au centre des réflexions, en plus du domaine de la R-D (CDF prise de position de la consultation du 7.2.2022). La numérisation, l'encouragement des start-up ainsi que l'accueil extrafamilial des enfants sont d'autres champs d'action possibles (rapport de l'AFC sur les résultats de la consultation du 29 juin 2022). Le gouvernement du canton de Zoug cite également la promotion de la compatibilité environnementale et sociale de l'extraction des matières premières, l'augmentation du potentiel de main-d'œuvre qualifiée, la promotion des écoles internationales et le soutien des crèches ou, le cas échéant, des mesures dans le domaine de la construction de logements à prix modérés (réponse du Conseil d’État du 4 octobre 2022 à l'interpellation du groupe UDC).

Les discussions cantonales vont dans une multitude de directions. Dans sa décision relative à l'imposition minimale, le Parlement fédéral a donné aux cantons une certaine assurance qu'ils disposeront effectivement des moyens nécessaires pour mettre en œuvre leurs projets. Toutefois, le fait qu'il règne actuellement une grande incertitude quant à l'ampleur des recettes supplémentaires (cf. l'encadré à la fin du chapitre 3) complique les planifications. Ce flou persistera pendant quelques années. Si l'impôt minimum entre en vigueur pour les exercices à partir de 2024, les entreprises ne seront taxées selon les nouvelles règles qu'en 2026. Il faudra donc encore attendre un certain temps avant de connaître les premières recettes de l'impôt minimum. L'évolution des recettes à plus long terme n'est absolument pas claire.