Ini­tia­tive Bous­sole: qui a perdu le nord?

Lan­cée la semaine der­nière, l’ini­tia­tive Bous­sole agite des épou­van­tails, pré­ten­dant que l’Union euro­péenne (UE) menace notre auto­no­mie, comme un ogre prêt à dévo­rer notre indé­pen­dance. Mais der­rière ces slo­gans alar­mistes et écu­lés, c’est l’ave­nir même de la Suisse qui est en péril: ses rela­tions éco­no­miques, son modèle de pros­pé­rité, tout ce qui a assuré notre suc­cès jus­qu’ici. Alors, qui a vrai­ment perdu le nord?

Depuis plus de 25 ans, les accords bila­té­raux sont la pierre angu­laire des rela­tions entre la Suisse et l’UE. Ils nous offrent un accès pri­vi­lé­gié à un mar­ché de 450 mil­lions de consom­ma­teurs tout en pré­ser­vant notre sou­ve­rai­neté. Autre­ment dit, nous béné­fi­cions du meilleur des deux mondes: les avan­tages d’un mar­ché com­mun sans les obli­ga­tions d’un membre de l’Union. Et pour­tant, l’ini­tia­tive Bous­sole veut nous faire aban­don­ner ce modèle, sans rien pro­po­ser en échange.

Ses pro­mo­teurs affirment que, dans le cadre des Bila­té­rales III actuel­le­ment en négo­cia­tion, nous serions contraints de reprendre «auto­ma­ti­que­ment» le droit euro­péen, deve­nant de simples exé­cu­tants des déci­sions de Bruxelles. Faux! Seuls huit accords sur les 140 conclus avec Bruxelles sont concer­nés par la reprise «dyna­mique» du droit. Et soyons clairs: cette reprise n’est pas auto­ma­tique. Chaque adop­tion serait sou­mise à consul­ta­tion natio­nale. Et le Par­le­ment, le Conseil fédé­ral, voire le peuple suisse, peuvent s’y oppo­ser à tout moment. Où est donc la menace pour notre démo­cra­tie directe?

La nou­velle ini­tia­tive laisse en outre plu­sieurs ques­tions en sus­pens, notam­ment sur les trai­tés inter­na­tio­naux qui seraient à l’ave­nir sou­mis à un réfé­ren­dum obli­ga­toire. Elle reste floue quant au deve­nir de l’ac­cord sur le trans­port aérien ou de Schen­gen/Dublin, vali­dés par réfé­ren­dum facul­ta­tif et pré­voyant une reprise dyna­mique du droit euro­péen. Veut-elle aussi sacri­fier les Bila­té­rales I?

En réa­lité, ce texte nous conduit à l’iso­le­ment. Plus de la moi­tié de nos expor­ta­tions sont des­ti­nées à l’UE. Rompre ces accords por­te­rait un coup dur à nos PME, qui se ver­raient confron­tées à des bar­rières doua­nières, des régle­men­ta­tions plus com­plexes et des coûts sup­plé­men­taires. Contrai­re­ment à ce que cer­tains pré­tendent, aucun autre par­te­naire com­mer­cial ne pour­rait com­pen­ser une telle perte. Ce texte ne défend donc pas notre sou­ve­rai­neté, il nous pré­ci­pite, au mieux, dans l’in­connu.

Les béné­fices des Bila­té­rales sont tan­gibles: selon plu­sieurs études, chaque Suisse gagne entre 2000 et 4400 francs de plus par an grâce à ces accords, des gains de richesse supé­rieurs à ceux de nos voi­sins. Et cela sans être membre de l’UE! Pour­tant, l’ini­tia­tive Bous­sole remet en ques­tion cette pros­pé­rité pour des peurs irra­tion­nelles.

Le plus inquié­tant dans ce pro­jet est l’ab­sence totale de plan B. Les ini­tiants veulent dézin­guer la voie bila­té­rale sans offrir de solu­tion de rem­pla­ce­ment. C’est une stra­té­gie kami­kaze qui rap­pelle le chaos du Brexit: chute des expor­ta­tions, effon­dre­ment des inves­tis­se­ments et retour dif­fi­cile à la table des négo­cia­tions. Est-ce vrai­ment ce que nous vou­lons pour la Suisse?

En fin de compte, cette ini­tia­tive vend du vent. Elle pré­tend que nous serions mieux sans nos accords avec les Vingt-Sept, mais elle condamne la Suisse à l’iso­le­ment et à l’im­passe éco­no­mique. Alors, qui a vrai­ment perdu le nord? La réponse est simple: ce sont ceux qui veulent sabo­ter notre ave­nir euro­péen sans rien pro­po­ser en échange. Alors que les crises mon­diales se mul­ti­plient, la Confé­dé­ra­tion a besoin de sta­bi­lité pour res­ter forte et com­pé­ti­tive. Pour un pays sou­ve­rain, pros­père et fidèle à sa démo­cra­tie directe, main­te­nons le cap et réaf­fir­mons notre enga­ge­ment en faveur de la voie bila­té­rale!

Article publié le 8 octobre dans l'Agefi