Politique climatique: comment l’économie veut atteindre l’objectif zéro émission nette?
- Introduction L’essentiel en bref | Position d’economiesuisse
- Chapter 1 Où en est la Suisse?
- Chapter 2 Les apports de l’économie
- Chapter 3 Instruments de la politique climatique (globaux et nationaux)
- Chapter 4 L’économie vise l’objectif zéro émission nette
- Chapter 5 Évolutions actuelles – en Suisse et dans le monde
Évolutions actuelles – en Suisse et dans le monde
Initiative pour les glaciers
L’initiative populaire «Pour un climat sain (initiative pour les glaciers)», déposée le 27 novembre 2019, veut introduire un nouvel article constitutionnel (art. 74a Cst.) sur la politique climatique. Elle demande que, à partir de 2050, la Suisse limite ses émissions de gaz à effet de serre au volume que les puits de carbone naturels et techniques peuvent absorber. À partir de ce moment, plus aucun carburant ni combustible fossile ne devra être vendu en Suisse. Des exceptions seront admissibles pour des applications pour lesquelles il n’existe techniquement pas d’alternatives.
L’initiative pour les glaciers poursuit donc le même objectif que le Conseil fédéral a fixé en 2019: réduire les émissions de gaz à effet de serre de la Suisse à zéro net à l’horizon 2050. Estimant que l’initiative va trop loin sur certains points, le Conseil fédéral lui a opposé un contre-projet direct. Selon le texte mis en consultation, il ne souhaite pas ancrer d’interdiction explicite des énergies fossiles dans la Constitution, contrairement à l’initiative. Le Conseil fédéral veut offrir ainsi une plus grande marge de manœuvre au Parlement et aux cantons pour mettre en œuvre l’objectif zéro net. Les énergies fossiles resteront notamment autorisées lorsque les agents énergétiques de substitution sont trop coûteux et entravent la compétitivité. Selon le Conseil fédéral, le nouvel article constitutionnel devra également préciser que la sécurité du pays ne saurait être affectée. En cas de besoin, l’armée, la police et les services de sauvetage devront pouvoir recourir à des énergies fossiles pour leurs interventions. Et puis, il faudra prendre en considération la situation particulière des régions de montagne et périphériques, dans l’intérêt de la cohésion nationale. Enfin, le Conseil fédéral laisse ouverte la question de savoir si les émissions résiduelles d’énergies fossiles en 2050 seront neutralisées par des puits de carbone sur le territoire ou à l’étranger (forêts, sols, stockage du CO2 dans des réservoirs géologiques, par exemple), le potentiel de stockage permanent du CO2 étant limité en Suisse.
Contre-projet direct plus efficace
Les milieux économiques adhèrent eux aussi à l’objectif zéro net d’ici à 2050 (cf. chapitre précédent). Les préoccupations formulées dans l’initiative pour les glaciers sont justifiées, mais les mesures à prendre trop radicales. Le contre-projet direct du Conseil fédéral est plus efficace. Les points suivants méritent, selon les milieux économiques, d’être pris en considération eu égard à l’initiative populaire et au projet du Conseil fédéral:
- Pas d’interdiction des énergies fossiles
Alors que l’initiative pour les glaciers demande l’interdiction des énergies fossiles, le projet du Conseil fédéral prévoit des exceptions lorsque les agents énergétiques de substitution sont trop coûteux et entravent la compétitivité. Cette position du Conseil fédéral est de la plus grande importance. Il est primordial de tenir compte des coûts sur la voie qui mène à zéro émission nette. S’ils sont trop élevés ou si les produits à zéro émission de CO2 ne sont pas suffisamment disponibles l’utilisation d’énergies fossiles sera toujours autorisée. Il faudrait alors miser sur des mesures de réduction des émissions ou sur des émissions négatives. - Imputation de mesures prises à l’étranger
La possibilité d’imputer les mesures mises en œuvre à l’étranger (réductions et émissions négatives) doit être maintenue. Il serait bien entendu nécessaire de soumettre les puits de carbone en Suisse ou à l’étranger aux mêmes exigences de qualité. Le potentiel des puits naturels de carbone est limité en Suisse, car il n’y a pas assez de surfaces pour développer des forêts. En revanche, le potentiel à l’étranger est pour ainsi dire illimité. Dès lors, rien ne s’oppose à ce que l’imputation des mesures à l’étranger soit déjà définie au niveau constitutionnel. Spécifier explicitement la possibilité d’imputer les mesures à l’étranger crée la souplesse nécessaire pour atteindre l’objectif zéro net d’ici à 2050 de façon économiquement supportable. - Coordination à l’échelle mondiale
Il est essentiel que la Suisse coordonne sa démarche au niveau international. L’approche et les mesures choisies doivent prendre en compte les contraintes économiques. Idéalement, il faudrait mettre en œuvre des mesures à l’échelle mondiale ou, à tout le moins, prévoir une trajectoire de réduction identique ou similaire pour tous les pays. Par ailleurs, il s’agit de prendre en compte la compétitivité relative des pays. D’un point de vue climatique et économique, il serait inefficace de prendre en Suisse des mesures menant à la cessation de certaines activités ou empêchant le développement de nouvelles activités. Ni l’initiative pour les glaciers ni le contre-projet du Conseil fédéral n’évoquent ce point, ce dont il faut tenir compte. - Trajectoire de réduction linéaire
L’initiative et le contre-projet demandent une réduction au moins linéaire jusqu’en 2050, avec des objectifs intermédiaires. Cependant, l’économie a besoin de flexibilité pour atteindre les objectifs. Les entreprises doivent être libres de décider quand et comment elles mettent en œuvre les possibilités de réduction dans le temps imparti. À court terme, des actions visant les émissions faciles à réduire à moindre coût permettront sans doute de suivre une trajectoire linéaire. Les percées technologiques nécessaires pour atteindre les objectifs ainsi que les cycles d’investissement ne suivent cependant pas les trajectoires de réduction fixées par l’État (pour des installations industrielles à durée de vie très longue, par exemple). La responsabilité individuelle, en revanche, doit être développée. Les milieux économiques sont convaincus qu’avec les conditions-cadre et la flexibilité nécessaires, les solutions seront prêtes à temps. Les objectifs intermédiaires devraient être considérés comme des valeurs indicatives balisant le chemin. Sinon, il y a un grand risque que la voie vers zéro émission nette induise des coûts et des charges inutiles. Il s’agit au contraire d’y parvenir en mettant en œuvre les moyens les plus efficaces possibles en termes de coûts.
«Changeons le système, pas le climat» – Pas à pas vers un changement de système
Quelles formes devraient prendre des conditions-cadre coordonnées au niveau international? Selon de récents calculs du Fonds monétaire international, il faut réduire les émissions mondiales de CO2 d’un tiers au total d’ici à 2030 pour atteindre les objectifs fixés. Si une coopération internationale est en place, les réductions peuvent avoir lieu essentiellement là où il est possible d’obtenir un effet maximum avec un investissement minimum. C’est primordial pour progresser rapidement et efficacement. La compatibilité sociale et économique du projet est tout aussi importante. Il faut également des règles suffisamment fermes pour permettre une coopération réussie de la communauté internationale dans la lutte contre les gaz à effet de serre. Cette coopération est indispensable pour faire face à un défi commun et obtenir un renversement de tendance aussi rapide que possible, en mettant à profit les avantages d’une division mondiale du travail.
D’un point de vue économique, le point faible du système entravant la lutte contre le changement climatique est bien identifié. On en trouve même déjà les détails sur Wikipedia, dans la page dédiée à la «taxe carbone». Dans une action conjointe, plus de 3000 économistes et prix Nobel du monde entier ont montré à quoi devrait ressembler la solution pour sortir de l’impasse climatique. La planète a besoin d’un système mondial coordonné, avec des conditions-cadre uniformes. Pas à pas et de façon synchrone, il faut se familiariser avec ce système nouveau (corrigé, pour être précis), qui touche de nombreuses personnes. L’OCDE ou le G20 seraient en état d’amorcer un tel changement de paradigme, comme ils le montrent actuellement avec les discussions autour de la réforme fiscale liée à la numérisation. D’autres coalitions ou alliances le pourraient aussi. Et l’impact d’une telle démarche serait clair: en matière de protection du climat, les mesures de coopération internationale – dans le respect de normes élevées d’intégrité environnementale – sont jusqu’à cinq fois plus efficaces que les instruments isolés à une échelle purement nationale.
Prix global pour les gaz à effet de serre à portée de main
Fin 2020, les plus grandes économies – dont la Suisse – se sont engagées à atteindre un objectif commun de zéro émission nette et à mieux coordonner la coopération internationale. Pour la première fois dans l’histoire, l’on voit éclore une alliance climatique ayant le potentiel de vraiment changer l’évolution de la situation. De nombreux pays se sont fixés de nouveaux objectifs climatiques plus élevés et ont formé une «coalition des grandes ambitions», ouvrant ainsi une nouvelle ère du multilatéralisme – une sorte de club climatique exclusif.
Pas moins de 75 pays se sont engagés à atteindre un objectif zéro net, ce qui est remarquable. Ce n’est pourtant pas le nombre de nations participantes qui importe, mais leur empreinte en matière de commerce et d’émissions de gaz à effet de serre. Dans cette évolution, il est donc signifiant qu’en plus de l’Europe et de quelques autres émetteurs importants, les États-Unis et la Chine notamment se sont mobilisés. Les membres de la coalition couvrent ainsi 65% des émissions mondiales. La voie à suivre pour atteindre les objectifs ambitieux est de plus en plus claire: un prix commun du carbone. L’argument central dans ce contexte est qu’il vaut mieux fixer un prix pour les gaz à effet de serre que d’accepter les risques à long terme liés à la hausse des températures moyennes. Selon le dernier tour d’horizon de l’OCDE, la tarification des gaz à effet de serre se présente en outre bien mieux que ce que l’on pense généralement. Un déficit de tarification demeure certes dans la plupart des pays , mais les écarts ne cessent de se réduire.
Avec ce mouvement, un prix global pour les émissions de gaz à effet de serre et des conditions-cadre comparables au niveau mondial deviennent tangibles. À terme, les incitations doivent se mettre en place dans le monde entier pour que l’évolution du climat aille dans la direction voulue par la politique. L’impact se produira uniquement si la coordination internationale réussit et que tous peuvent y contribuer.