Du Luizet à Lonza: quand le Valais grandit avec l’Europe
Main-d’œuvre, reconnaissance des produits, tourisme, recherche : le Valais bénéficie pleinement de la voie bilatérale. L’initiative de résiliation met ce modèle en péril.
Le Luizet, abricot emblématique du Valais, est bien plus qu’un fruit. S’il ne bénéficie pas lui-même d’une appellation protégée, il est au cœur de l’Abricotine, une eau-de-vie AOP reconnue dans toute l’Union européenne grâce à l’accord agricole entre la Suisse et l’UE. Cet accord assure aussi la reconnaissance d’autres produits du terroir valaisan – comme la Raclette du Valais – sur le marché européen. La filière fromagère suisse, dont cette spécialité est un fleuron, connaît un succès remarquable à l’export: en 2023, près de 40% de la production nationale a été vendue à l’étranger, principalement vers nos voisins européens qui absorbent plus de 80% des volumes exportés. Aucun autre produit agricole suisse ne rayonne autant à l’international.
C’est toute une identité qui se valorise, et autant de débouchés pour nos producteurs. Ces petits exemples en disent long. Depuis 25 ans, la Suisse a fait le choix d’une voie pragmatique: la voie bilatérale avec l’Union européenne. Pas d’adhésion, pas de grand saut institutionnel, mais des accords concrets, sur mesure, qui nous permettent de rester souverains tout en étant connectés à notre principal marché. Ce modèle discret, mais efficace a largement contribué à notre prospérité. Le Valais en est une vitrine éclatante.
Exportations, emplois, tourisme, innovation: ce que la voie bilatérale rend possible
À Viège, Lonza a connu une forte croissance. L’entreprise a créé des centaines d’emplois et réalisé d’importants investissements. Pour faire tourner ses bioprocédés de pointe, elle doit recruter, sans lourdeurs administratives, des spécialistes venus d’Europe. C’est justement ce que permet la libre circulation des personnes, pilier des accords bilatéraux. Dans un contexte de vieillissement, de pénurie et de guerre des talents, c’est un atout décisif.
Or, cet accord n’est pas isolé. Le remettre en cause, c’est fragiliser l’ensemble de l’édifice bilatéral.
À Brigue, la Société suisse des explosifs (SSE) fabrique des explosifs civils pour la construction et les mines. Fondée en 1894 pour le tunnel du Simplon, elle est aujourd’hui un acteur majeur, exportant une grande part de sa production vers l’UE. Grâce à l’accord sur les normes techniques (ARM), des explosifs civils produits en Suisse peuvent y être vendus sans double certification.
Et quand Lonza et la SSE croissent, ce sont aussi des milliers de PME locales qui en profitent: construction, nettoyage, restauration, sous-traitance. Même une boulangerie de Viège ou une entreprise IT de Sion vit, en partie, de cette vitalité. La dynamique des exportations tire tout le tissu économique vers le haut.
Le tourisme, colonne vertébrale de l'économie valaisanne avec près d’un emploi sur cinq, repose, lui aussi, sur des milliers de travailleurs venus de France, d’Italie ou du Portugal. Leur présence est essentielle au bon fonctionnement des hôtels, restaurants et remontées mécaniques de Verbier, Crans-Montana ou Zermatt. Grâce à Schengen, les touristes du monde entier accèdent aussi plus facilement à la Suisse: les visiteurs de pays tiers – comme la Chine, l’Inde ou les pays du Golfe – voyagent avec un seul visa valable dans tout l’espace Schengen, y compris chez nous. Ils séjournent plus longtemps, dépensent davantage, et ont notamment soutenu l’hôtellerie suisse lors de la crise du franc fort.
Nos hautes écoles bénéficient elles aussi des accords bilatéraux. La HES-SO Valais-Wallis a par exemple participé à un projet européen sur l’intelligence artificielle appliquée à la santé, à la mobilité ou à la production industrielle. Sans ces accords, toutes ces coopérations seraient impossibles.
L’initiative de résiliation: un danger pour tout un modèle
Mais ce modèle pragmatique et gagnant, que beaucoup nous envient, est aujourd’hui en danger. L’initiative dite «sur la durabilité», portée par l’UDC, propose de plafonner la population suisse à 10 millions d’habitants. Outre le caractère arbitraire de ce chiffre, une telle mesure est irréaliste au vu des besoins actuels de notre économie. Dans des secteurs clés comme les hôpitaux et EMS, la construction, l’hôtellerie ou l’industrie, nous manquons déjà de personnel qualifié. Fermer la porte à la main d’œuvre européenne reviendrait à aggraver tous ces défis. Pourtant, c’est exactement ce que propose l’initiative, en imposant la résiliation de l’accord sur la libre circulation des personnes. Or, cet accord fait partie intégrante des Bilatérales I. Sa suppression entraînerait, via la clause guillotine, la chute de l’ensemble de ce paquet d’accords.
Et cela signifierait aussi, très probablement, la fin de notre participation à Schengen et Dublin, puisque l’UE a clairement conditionné leur maintien au respect de la libre circulation. Schengen et Dublin font certes partie d’un autre paquet d’accords, mais leur avenir est directement lié. En sortir, ce serait aussi renoncer à un précieux outil de sécurité intérieure, notamment l’accès aux bases de données policières européennes.
Le Valais – comme d’autres cantons – fait face à des défis réels: logements, intégration, infrastructures. Mais y répondre exige des réformes concrètes, pas un repli idéologique.
Dans un monde instable, divisé, en quête de repères, ce n’est pas le moment de saborder l’un des rares modèles qui tiennent la route. La voie bilatérale, c’est l’ouverture sans la soumission, la coopération sans l’alignement automatique. Elle nous relie. Elle nous renforce. Préservons-la.
Article publié dans la Tribune économique de l'UVAM (UVAM Tribune) de mai 2025