Code de procédure civile: le mieux est l’ennemi du bien

Le Conseil fédéral souhaite réviser le code de procédure civile et entend introduire des instruments d’action collective. S’il est légitime de vouloir faciliter l’accès à la justice, rien n’indique que les moyens préconisés bénéficient effectivement aux consommateurs.

L’économie et la société évoluent, il est donc naturel de réviser régulièrement le code de procédure civile et d’évaluer les instruments à disposition des entreprises et des citoyens depuis 2011. Si l’on en croit le message du Conseil fédéral, la révision actuelle viserait à accroître l’efficacité du code de procédure civile par des modifications ciblées. Il s’agirait donc d’une révision technique, dans le seul but de faciliter l’accès à la justice. Or le projet soumis à consultation se révèle bien différent. Le texte introduit en effet la possibilité pour une association d’ouvrir une action et de demander des dommages-intérêts pour ses membres. Dans ce cas, il supprime en outre l’avance de frais lorsque la valeur du litige est inférieure à 500 000 francs. Enfin, il établit la transaction de groupe, un instrument juridique nouveau, pour résoudre des litiges de masse. En clair, il s’agit d’encourager la judiciarisation des rapports entre les entreprises et les consommateurs.

Entendons-nous bien: il est légitime que nous puissions tous saisir la justice pour faire valoir nos droits. Les entreprises qui trompent leurs clients – que ce soit en matière de prestations de services ou de production de biens – ne méritent aucune clémence. On peut toutefois s’interroger sur l’opportunité de poursuivre systématiquement les plus petits dommages ou de se retrouver partie à une procédure sans l’avoir soi-même initiée. Par exemple, l’auteure de ces lignes avait fait, il y a quelques années, l’acquisition d’un téléphone portable fabriqué par une start-up soucieuse de minimiser au maximum l’impact de sa production sur les droits de l’homme et sur l’environnement. Au moment de la réception du téléphone, il s’avéra que celui-ci n’était pas au point et il fallut le renvoyer à l’expéditeur. S’en suivirent quelques semaines d’attentes et un aller-retour à La Poste avant d’obtenir un appareil en parfait état de marche. Bien peu de gêne à vrai dire. Pourtant, en consultant le forum en ligne de cette entreprise, il apparut que plusieurs consommateurs étaient dans la même situation. Si une transaction de groupe avait été lancée, plusieurs d’entre nous se seraient retrouvés partie à une action que nous ne souhaitions pas, considérant que le problème de base était bénin. À trop mettre les entreprises sous pression, nous risquons ainsi de décourager les démarches les plus novatrices, celles qui nécessitent de prendre quelques risques ou du temps. Cela ne fera pas avancer la cause des consommateurs et pourrait même, paradoxalement, renforcer le pouvoir de certaines compagnies bien établies – et décriées par les associations de défense des consommateurs – au détriment de leurs concurrents plus fragiles.

Il faut rappeler qu’il existe déjà, en droit suisse, des mécanismes qui permettent l’exercice collectif des droits. Au lieu de se lancer dans des expériences grandeur nature, il serait plus judicieux de développer ou encourager les instruments déjà existants. Enfin, un passage devant les tribunaux est-il forcément synonyme d’une meilleure protection des consommateurs? La question mérite d’être posée. On trouve en Suisse plusieurs organismes de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation qui permettent aux consommateurs de défendre leurs droits, dans des secteurs aussi divers que les assurances, les banques, l’hôtellerie, les services funéraires, etc.

Le projet du Conseil fédéral trahit une méfiance envers les entreprises que l’on peut regretter. Au final, il est à craindre que cet instrument ne servira pas tant la cause des consommateurs que celles d’organisations qui l’utiliseront à des fins médiatiques et politiques.

Cet article a paru le 2 juillet 2018 dans L'Agefi.