Révision de la loi sur les cartels: aux yeux de l’économie, il reste beaucoup à faire
Vers un droit des cartels moderne
La loi sur les cartels en mutation
La première loi suisse sur les cartels (LCart) a été édictée en 1962 aux fins de poursuivre le but constitutionnel de prévenir les effets nuisibles des cartels sur les plans social et économique. À l’époque, l’action de la Commission des cartels compétente se limitait à appliquer la méthode dite du «solde» selon laquelle une entrave à la concurrence n’était jugée nuisible que si la mise en balance de ses avantages et de ses inconvénients – y compris au regard d’aspects non économiques – présentait un solde négatif. Aussi la valeur attachée à la concurrence était-elle fortement relativisée dans la pratique.
En 1995, la révision du droit de la concurrence a représenté un tournant décisif. La méthode du «solde» a été abandonnée. Désormais, l’objectif assigné à la loi consistera – et c’est toujours le cas aujourd’hui – dans la protection d’une concurrence efficace. Parallèlement, un changement institutionnel a été introduit en ce que le pouvoir décisionnel, et avec lui l’application de la loi, a été transféré du Département fédéral de l’économie (DFE, aujourd’hui DEFR) à la Commission de la concurrence (Comco). En 2003, les instruments en mains de la Comco et de son secrétariat pour faire appliquer la loi ont été renforcés: grâce à l’introduction de sanctions directes, il est devenu possible de punir des entraves graves à la concurrence dès leur constatation et non pas seulement après leur réitération.
Échec de la révision de 2014
Le Conseil fédéral a approuvé en février 2012 le message relatif à la révision de la loi sur les cartels. Celui-ci comportait six éléments:
- le renforcement du volet civil du droit des cartels;
- l’instauration de programmes de compliance visant une réduction des sanctions;
- l’amélioration de la procédure d’opposition;
- l’introduction du test SIEC;
- la réforme institutionnelle et
- l’interdiction partielle des cartels (= interdiction des cartels dits durs).
Ce furent en particulier la réforme institutionnelle ainsi que l’interdiction partielle des cartels qui ont provoqué le naufrage politique de la révision envisagée. Le second vote du Conseil national en date du 17 septembre 2014 refusant d’entrer en matière sur le projet a sonné le glas de ce dernier. Le coup de grâce a été donné par une alliance interpartis composée de représentants de l’UDC, du PBD, des Verts et de la gauche proche des syndicats. Les arguments invoqués à l’appui de cette décision étaient parfois très terre à terre, tel le fait que le temps d’une révision n’était pas encore venu ou que la composition de la Comco avait changé.
Le nouveau projet de révision
En 2020, le Conseil fédéral a lancé une nouvelle tentative de révision partielle de la loi sur les cartels. Le DEFR a été chargé en février 2020 d’élaborer un projet destiné à être mis en consultation.
La révision telle que la conçoit le Conseil fédéral
Après l’échec au Parlement de la révision de la LCart en 2014, la Confédération semble vouloir désormais réduire le remaniement envisagé à la portion congrue et se concentrer sur quelques points peu controversés. Selon le Conseil fédéral, ces derniers sont les suivants:
- Modernisation du contrôle des fusions
Un remplacement du critère actuel de position dominante sur le marché par le test SIEC («significant impediment to effective competition») est nécessaire. La mesure aurait pour effet d’harmoniser le standard appliqué par la Comco avec les expériences réalisées à l’échelon international. Introduire le test SIEC abaisserait le seuil des entraves prohibées. Autrement dit, l’interdiction d’une fusion ou sa soumission à certaines conditions serait déjà concevable en présence d’un risque d’entrave sérieuse à la concurrence. - Mise en œuvre de la motion Fournier (16.4094)
Le 5 mars 2018, le Parlement a renvoyé certaines parties de la motion Fournier au Conseil fédéral pour mise en œuvre. Cette intervention parlementaire devra trouver sa concrétisation dans le cadre de la révision à venir. Ainsi, avec sa mise en œuvre, les procédures devant les tribunaux devraient être simplifiées et s’accélérer de par l’introduction de nouveaux délais dans la législation. En outre, il convient que les parties touchent une indemnité pour leurs frais (désormais aussi pour les procédures ouvertes devant la Comco). - Amélioration de la procédure d’opposition
Jusqu’ici, les documents diffusés officiellement à propos de la révision actuelle n’ont donné aucune information sur le contenu du réaménagement de la procédure d’opposition. Lors de la tentative de révision de 2014, le débat a porté sur l’abaissement de cinq à deux mois du délai d’opposition, et sur la possibilité d’infliger des sanctions aux entreprises à compter seulement de l’ouverture d’une instruction et non pas dès le début de l’enquête préalable. - Renforcement du volet civil du droit des cartels
Si l’on se réfère aux efforts de révision entrepris en 2014, il faut s’attendre à un élargissement des possibilités d’intenter des actions civiles (en particulier pour les consommateurs) et à une prise en considération plus importante des réparations civiles dans l’évaluation des sanctions.
La révision sous l’angle de l’économie
Afin de faire la lumière sur les besoins de l’économie, economiesuisse a constitué à l’automne 2020 un groupe de travail ad hoc. Les discussions survenues jusqu’ici au sein de ce cercle au large ancrage ainsi que d’autres réflexions ont mis en évidence que l’économie souhaite une révision plus ambitieuse. Les points à remanier selon le Conseil fédéral ne correspondent pas aux attentes de l’économie qui aspire à une législation moderne en matière de concurrence. Seules ont été expressément saluées la prise en considération des réparations fondées sur le droit civil dans le calcul des sanctions ainsi que l’amélioration de la procédure d’opposition. Pour tous les autres points à réviser selon le Conseil fédéral, on ne discerne aucun besoin impérieux d’agir. Aussi convient-il d’attendre les résultats de la procédure de consultation et, partant, de connaître les contenus concrets de la réglementation proposée avant d’entamer une discussion sur celle-ci. Toutefois, on peut d’ores et déjà affirmer qu’en principe la révision prévue ne portera que sur des aspects mineurs de la loi, car les sujets qui devraient y être abordés d’urgence en sont exclus.
Dans le cadre de la révision qui s’annonce, les points spécifiques mentionnés ci-après mériteraient d’être traités si l’on veut remédier aux lacunes dont souffre le droit actuel des cartels du point de vue économique.