Révi­sion du droit des car­tels: en finir avec une pra­tique injuste

La révi­sion par­tielle de la loi sur les car­tels (LCart), sur laquelle le Conseil des États va bien­tôt se pro­non­cer, est essen­tielle pour réta­blir une régu­la­tion équi­li­brée et prag­ma­tique de la concur­rence en Suisse. L’éco­no­mie sou­tient fer­me­ment cette révi­sion, car la pra­tique actuelle de la Com­mis­sion de la concur­rence (Comco), depuis l'ar­rêt Gaba de 2016, ne cor­res­pond plus à l’es­prit de la LCart.

À la suite de cet arrêt, un accord peut en effet être consi­déré comme illi­cite de par sa seule nature, sans même prendre en compte son impact réel sur le mar­ché. Le risque qu’un accord insi­gni­fiant (petite part du mar­ché) entre entre­prises ou non mis en œuvre soit consi­déré comme illi­cite a consi­dé­ra­ble­ment aug­menté.

Une évo­lu­tion qui s’écarte de l’es­prit de la loi

Bien que la Comco affirme le contraire, ce risque est devenu bien réel au fil des années. La pra­tique actuelle a conduit à des situa­tions où des entre­prises sont sévè­re­ment péna­li­sées sans que la Comco n'ait à prou­ver les effets concrets des accords. Plu­sieurs PME confirment mal­heu­reu­se­ment cette évo­lu­tion.

La pra­tique actuelle va tel­le­ment loin que des entre­prises et des PME sont pour­sui­vies sans qu'il soit prouvé que l'ac­cord ait des effets néfastes sur la concur­rence et donc sur les consom­ma­teurs. Le droit des car­tels s'est donc éloi­gné de son esprit d'ori­gine basé notam­ment sur le sen­ti­ment d'in­jus­tice res­senti par la concur­rence face aux effets néga­tifs concrets d’un car­tel. Les PME se retrouvent ainsi bien sou­vent dans le viseur de la Comco sans en être conscientes car elles n’ont pas les moyens de dis­po­ser d’un coû­teux dépar­te­ment de confor­mité.

Reve­nir à une ana­lyse au cas par cas

Pré­tendre comme le fait la Comco que l’ana­lyse au cas par cas ne serait pas pos­sible est très sur­pre­nant pour ne pas dire mal­hon­nête. N’est-ce pas la Comco qui dans ses docu­ments publics de tra­vail sou­li­gnait la néces­sité de cette ana­lyse des effets concrets basée sur des cri­tères qua­li­ta­tifs et quan­ti­ta­tifs? N’est-ce pas cette même Comco qui, entre 1996 et 2016, pro­cé­dait de la sorte et ne man­quait d’ailleurs pas de, régu­liè­re­ment, se van­ter de ses nom­breux suc­cès?

Avant 2016, la Comco devait prou­ver que les accords avaient des effets néfastes concrets sur le mar­ché et les consom­ma­teurs. Une telle approche basée sur des cri­tères qua­li­ta­tifs et quan­ti­ta­tifs est non seule­ment plus juste, mais elle per­met aussi de cibler les véri­tables abus de pou­voir de mar­ché sans entra­ver les pra­tiques com­mer­ciales bénignes ou même béné­fiques.

Il est essen­tiel de reve­nir à une pra­tique fon­dée sur une ana­lyse concrète des effets des accords sur la concur­rence. En 2014, le Par­le­ment avait d'ailleurs clai­re­ment refusé de modi­fier la loi sur les car­tels pour per­mettre à la Comco de se pas­ser d’une telle ana­lyse. Mal­gré cela ce chan­ge­ment est devenu une réa­lité après l'ar­rêt «Gaba» du Tri­bu­nal fédé­ral en 2016. Cet arrêt a immé­dia­te­ment sus­cité de vives cri­tiques et son inter­pré­ta­tion conti­nue, huit ans plus tard, à poser de nom­breux pro­blèmes aux entre­prises.

En adop­tant cette révi­sion par­tielle le Par­le­ment a donc l’oc­ca­sion de cor­ri­ger le tir. Cette révi­sion garan­ti­rait une régu­la­tion de la concur­rence plus équi­table et fon­dée sur des preuves. Elle per­met­trait aux entre­prises d'in­no­ver et d’avan­cer sans crainte de sanc­tions injus­ti­fiées, tout en pro­té­geant effi­ca­ce­ment aussi bien la concur­rence que les consom­ma­teurs contre les abus réels. Elle recen­tre­rait ainsi les efforts de la Comco sur les véri­tables abus de pou­voir de mar­ché, tout en offrant aux entre­prises la sécu­rité juri­dique néces­saire pour inno­ver et croître.