digitaler Bildschrim in der Mitte das Wort Tax, also Steuer

OCDE/G20: les réels enjeux de la taxa­tion de l’éco­no­mie numé­rique

L'OCDE a publié les pre­mières ébauches concrètes de ses inten­tions fis­cales en matière de taxa­tion de l’éco­no­mie numé­rique. A voir les pro­po­si­tions, on se rend compte que la ques­tion de l’éco­no­mie numé­rique est sur­tout une affaire de mar­ke­ting poli­tique. L’ob­jec­tif réel vise à redis­tri­buer les béné­fices des entre­prises inter­na­tio­nales entre pays indus­tria­li­sés et pays émer­gents, et à régu­ler la concur­rence fis­cale inter­na­tio­nale.

On entend sou­vent affir­mer que le sys­tème fis­cal inter­na­tio­nal repose sur les prin­cipes dépas­sés d'une éco­no­mie pure­ment phy­sique, alors que les entre­prises numé­riques seraient à peine taxées. Une révi­sion du sys­tème fis­cal serait donc urgente. Sur la base de cet argu­ment, le G20 et l'OCDE font le for­cing pour avan­cer dans une révi­sion fon­da­men­tale de la fis­ca­lité. Le G20 sou­haite abou­tir à une solu­tion consen­suelle d'ici fin 2020. Cette semaine, l'OCDE a publié de pre­mières pro­po­si­tions concrètes. Que contient le paquet ? Les mesures sont-elles adé­quates ? 

Le pro­jet se base sur deux piliers. Selon le pre­mier, les entre­prises inter­na­tio­nales devraient payer plus d'im­pôt sur le béné­fice – en plus de la TVA – dans les pays où elles vendent leurs pro­duits ou leurs pres­ta­tions. En consé­quence, les pays dans les­quels ces socié­tés sont domi­ci­liées devraient renon­cer à une par­tie de leurs droits fis­caux. On ne sera pas sur­pris de consta­ter que ce sont des pays émer­gents dotés d’une popu­la­tion et de mar­chés impor­tants qui exigent cette modi­fi­ca­tion du sys­tème de taxa­tion.  Il est clair aussi qu’un tel pro­jet n’est pas dans l’in­té­rêt de notre pays. 

Aucun concept basé sur la créa­tion de valeur numé­rique

Une brève ana­lyse des mesures pré­sen­tées montre clai­re­ment que le pro­jet n’a, le plus sou­vent, pas de lien avec la numé­ri­sa­tion. Les solu­tions pro­po­sées ne font réfé­rence à un nou­veau concept éco­no­mique de créa­tion de valeur numé­rique. La ques­tion de la valeur qui serait créée par les consom­ma­teurs, par exemple, ne figure pas dans le pro­jet. On y trouve en revanche des taux for­fai­taires en vue de répar­tir le sub­strat fis­cal entre pays de domi­cile des entre­prises et pays de mar­ché. Ce sont donc des for­mules de répar­ti­tion qui sont visées et elles sont tota­le­ment décon­nec­tée des condi­tions éco­no­miques numé­riques réelles des entre­prises. 

Les mesures ne concentrent pas sur les entre­prises numé­riques. Un veto amé­ri­cain serait cer­tain si les mesures visaient exclu­si­ve­ment Google, Apple, Face­book et Ama­zon (GAFA). Mais on se doit d’être sur­pris par des mesures jus­ti­fiées au nom de l’évo­lu­tion de l’éco­no­mie numé­rique qui n'ont pour­tant pas d’im­pact spé­ci­fique sur les entre­prises numé­riques. Au contraire, les indus­tries clas­siques des biens de consom­ma­tion seraient affec­tées, comme les sec­teurs suisses de l’hor­lo­ge­rie, de l’ali­men­ta­tion ou de la pharma. Bien sûr, ces indus­tries uti­lisent éga­le­ment les canaux numé­riques de dis­tri­bu­tion, mais le com­merce inter­na­tio­nal pure­ment tra­di­tion­nel des biens de consom­ma­tion phy­siques est par­ti­cu­liè­re­ment tou­ché. 

Les mar­chés émer­gents tou­che­raient une part (légè­re­ment) plus impor­tante du gâteau fis­cal des béné­fices

Le fait que des indus­tries tra­di­tion­nelles soient par­ti­cu­liè­re­ment tou­chées ne doit pas sur­prendre. La volonté des pays émer­gents d’ob­te­nir une part plus impor­tante de l'im­pôt sur le béné­fice a à peu près du même âge que la loi fis­cale inter­na­tio­nale qui a vu le jour en 1928 à la Société des Nations. Les rete­nues à la source, lar­ge­ment répan­dues dans les pays émer­gents et en déve­lop­pe­ment, témoignent de cette lutte de longue date entre les États de mar­ché et les États de rési­dence. L’évo­lu­tion numé­rique sert donc ici sur­tout de point d’ap­pui en vue de relan­cer une demande ancienne. 

En consé­quence des pro­po­si­tions de l'OCDE, les pays indus­tria­li­sés per­draient une par­tie de leur assiette fis­cale. Der­rière tout cela, on décèle moins un pro­blème de numé­ri­sa­tion qu’une lutte de pou­voir. Avec l'im­por­tance éco­no­mique crois­sante de grandes éco­no­mies émer­gentes au sein du G20, la bataille autour des recettes fis­cales s'ouvre ainsi un nou­veau cha­pitre. Seules les anciennes nations indus­tria­li­sées résistent encore et visent à limi­ter l’am­pleur de cette redis­tri­bu­tion.

Limi­ter la concur­rence fis­cale

Le deuxième pilier du pro­jet OCDE/G20 est consa­cré à la concur­rence fis­cale. Le pro­jet BEPS («éro­sion de l'as­siette fis­cale et trans­fert des béné­fices») visait à contrer les pos­si­bi­li­tés d’op­ti­mi­sa­tion fis­cale. Les mesures visaient donc à taxer les béné­fices sur le lieu de la créa­tion de valeur réelle. Mais cela n'est pas suf­fi­sant pour les États à fis­ca­lité éle­vée comme la France et l'Al­le­magne, car des pays attrac­tifs comme la Suisse conti­nuent d'at­ti­rer la valeur ajou­tée, et donc le sub­strat fis­cal. La pro­chaine étape est donc annon­cée : il s’agit d’em­pê­cher la concur­rence fis­cale, qua­li­fiée de « spi­rale vers le bas (race to the bot­tom)» en ins­tau­rant des taux d'im­po­si­tion mini­maux inter­na­tio­naux.

Si cette mesure concer­nait réel­le­ment la numé­ri­sa­tion, la notion de «valeur ajou­tée» devrait être redé­fi­nie et l'as­siette fis­cale redis­cu­tée. Or ce n’est pas le cas. La rai­son du recours aux taux d'im­po­si­tion mini­maux s’ex­plique par l’ap­pé­tit des États à fis­ca­lité éle­vée. 

Vieux conflits de poli­tique fis­cale

Lorsque le G20 et l'OCDE font réfé­rence à la numé­ri­sa­tion, il s'agit donc bien plu­tôt d’un pré­texte. En fait, deux ques­tions de poli­tique fis­cale sécu­laires sont en jeu: la répar­ti­tion des béné­fices entre pays de rési­dence et pays de mar­ché (pre­mier pilier) et la régu­la­tion de la concur­rence fis­cale inter­na­tio­nale (deuxième pilier). C'est la seule façon de com­prendre les pistes exa­mi­nées.