La Suisse doit-elle régu­ler l’IA?

L’in­tel­li­gence arti­fi­cielle (IA) offre de for­mi­dables oppor­tu­ni­tés. Comme toute tech­no­lo­gie dis­rup­tive, elle com­porte aussi des risques. Aperçu de notre grand évé­ne­ment sur l’IA, le 17 jan­vier à Lau­sanne.

Avec le déve­lop­pe­ment de l’IA géné­ra­tive, la ques­tion de la régle­men­ta­tion prend de l’am­pleur. Cette ten­dance a encore été accen­tuée, fin 2023, après que l’Union euro­péenne (UE) a annoncé avoir trouvé un «accord poli­tique» pour régu­ler l’IA, une pre­mière au niveau mon­dial. La Suisse doit-elle suivre l’UE et régle­men­ter l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle?  Pour dis­cu­ter de cette ques­tion, et aussi pour exa­mi­ner les dif­fé­rents enjeux liés au déve­lop­pe­ment de l’IA, eco­no­mie­suisse a orga­nisé un grand évé­ne­ment ouvert au public le 17 jan­vier à Lau­sanne. L’évé­ne­ment fait aussi suite à la publi­ca­tion d’un dos­sier­po­li­tique sur l’IA.

Cet évé­ne­ment inti­tulé: «Faut-il régle­men­ter l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle?» a été orga­nisé en col­la­bo­ra­tion avec la Vau­doise Assu­rances, la FER Genève et les Chambres de com­merce des can­tons de Fri­bourg, Genève et Vaud que nous remer­cions.

Quelques moments forts de cet évé­ne­ment

Dans son intro­duc­tion, Phi­lippe Hebei­sen, vice-pré­sident d’eco­no­mie­suisse et pré­sident du conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de la Vau­doise Assu­rances, a sou­li­gné que pour la Suisse, et en par­ti­cu­lier pour son éco­no­mie, l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle revêt une impor­tance stra­té­gique. La Suisse vit de l’in­no­va­tion et elle est à la pointe dans de nom­breux domaines. Il a éga­le­ment relevé le fait que contrai­re­ment à ceux qui ont demandé un arrêt immé­diat de son déve­lop­pe­ment, voire des inter­dic­tions, l’éco­no­mie croit fer­me­ment que la liberté d’ex­ploi­ter le poten­tiel de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle doit être une prio­rité majeure. Cette posi­tion n’im­plique tou­te­fois pas un lais­ser-faire total, car l’éco­no­mie est plei­ne­ment consciente des risques à maî­tri­ser.

Après cette intro­duc­tion, dif­fé­rents ora­teurs se sont suc­cédé.

Rachid Guer­raoui, pro­fes­seur ordi­naire à l’École poly­tech­nique de Lau­sanne (EPFL) et grand spé­cia­liste du sujet a ouvert le bal en pré­sen­tant l’évo­lu­tion de l’IA à tra­vers le temps et en don­nant un aperçu de son for­mi­dable poten­tiel. Il a insisté notam­ment sur le fait que l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle est un domaine qui ne néces­site pas d’uti­li­ser mas­si­ve­ment des res­sources natu­relles, au contraire des champs de pétrole, afin de révo­lu­tion­ner le monde. Il prend l’exemple des 55 jeunes inno­va­teurs qui ont créé What­sApp, puis l’ont vendu pour plu­sieurs mil­liards. Ces jeunes ont de fait défi­ni­ti­ve­ment révo­lu­tionné la manière dont les gens com­mu­niquent. Il serait donc contre-pro­duc­tif de limi­ter et bri­der les oppor­tu­ni­tés créa­tives de ces jeunes talents.

Sta­nis­las Bres­sange, chief trans­for­ma­tion offi­cer à la Vau­doise Assu­rances, a ensuite mon­tré com­ment le sec­teur de l’as­su­rance uti­lise depuis plu­sieurs années l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle pour opti­mi­ser notam­ment le tra­vail admi­nis­tra­tif ou la ges­tion des sinistres. Il a pu ainsi ren­for­cer la ges­tion des coûts.

Maître Nico­las Capt, asso­cié fon­da­teur de l’étude Quinze Cour des Bas­tions, a quant à lui apporté un éclai­rage juri­dique et mon­tré qu’il est dif­fi­cile de trou­ver un équi­libre entre inno­va­tion et régle­men­ta­tion.

Puis après une pause, Serge Mori­sod, chief digi­tal offi­cer au CSEM, a pré­senté quelques exemples dans le but de sou­li­gner, com­ment l’IA aide déjà for­te­ment au quo­ti­dien l’in­dus­trie en Suisse. Une indus­trie pour qui une régle­men­ta­tion trop stricte de l’IA consti­tue­rait un risque impor­tant. En effet, une régu­la­tion irré­flé­chie ris­que­rait de ralen­tir le rythme de l’in­no­va­tion, empê­chant les entre­prises de capi­ta­li­ser sur de nou­velles décou­vertes et de res­ter com­pé­ti­tives sur le mar­ché.

La table ronde: le moment de débattre

Les inter­ven­tions indi­vi­duelles ont été sui­vies d’une table ronde modé­rée par Anouch Seyd­ta­ghia, jour­na­liste au Temps et grand spé­cia­liste des nou­velles tech­no­lo­gies. Me Capt et le pro­fes­seur Guer­raoui ont été rejoints par la conseillère natio­nale du Centre, Isa­belle Chap­puis, et par le conseiller natio­nal PS, Samuel Ben­da­han, afin d’ap­por­ter la vision du poli­tique sur cette ques­tion. Lors de cette table ronde, il a ainsi été mis en avant que le rôle du poli­tique n’est pas d’en­tra­ver le poten­tiel de l’IA en Suisse, mais il consiste plu­tôt à orien­ter cette tech­no­lo­gie au ser­vice du bien com­mun. Ces outils doivent maxi­mi­ser leur uti­lité tout en assu­rant la pro­tec­tion des indi­vi­dus.

Cette table ronde a mon­tré que la Suisse dis­pose d’une posi­tion stra­té­gique pour aider à façon­ner et influen­cer une cer­taine régu­la­tion. La Suisse dis­pose d’ins­ti­tu­tions de recherche de renom et d’un sec­teur de l’in­no­va­tion dyna­mique. Elle est sou­vent à la pointe des avan­cées tech­no­lo­giques, ce qui la place dans une posi­tion pri­vi­lé­giée. Notre pays peut ainsi contri­buer au déve­lop­pe­ment de normes et de régle­men­ta­tions en matière d’IA. Dans ce domaine, où les ques­tions éthiques et de pro­tec­tion des don­nées sont cru­ciales, la Suisse peut appor­ter une pers­pec­tive éthique et juri­dique impor­tante. En com­bi­nant ces fac­teurs, elle peut jouer un rôle impor­tant dans la pro­mo­tion d’une régle­men­ta­tion de l’IA qui pro­tège les inté­rêts des indi­vi­dus tout en favo­ri­sant l’in­no­va­tion et la crois­sance res­pon­sable.

Le public a ensuite pu inter­ve­nir et poser des ques­tions. De nom­breuses per­sonnes ont pro­fité de ce moment pour expri­mer leurs craintes de voir la Suisse emboî­ter le pas à l’UE sans avoir le temps de prendre du recul, ce qui met­trait en dan­ger l’in­no­va­tion dans notre pays.

La conclu­sion de Phi­lippe Hebei­sen, a rap­pelé que la Suisse a sou­vent une approche plus libé­rale et prag­ma­tique que l’UE. Ainsi, la régle­men­ta­tion adopte une approche axée sur des prin­cipes neutres sur le plan tech­no­lo­gique. Toutes les nou­velles tech­no­lo­gies ne font donc pas l’ob­jet d’une régle­men­ta­tion indi­vi­duelle et détaillée.

Le droit suisse est appré­cié et reconnu jus­te­ment, car il place les prin­cipes de la coha­bi­ta­tion humaine au centre du droit et non la tech­no­lo­gie. Cela assure une sécu­rité juri­dique sans entra­ver l’in­no­va­tion. Bien entendu, des besoins régle­men­taires ponc­tuels appa­raî­tront sûre­ment avec le déve­lop­pe­ment de l’IA. Le cas échéant, des adap­ta­tions devraient être conçues de la manière la plus flexible pos­sible, afin de pou­voir tenir compte rapi­de­ment d’évo­lu­tions tech­niques qui sont tou­jours plus dyna­miques.

Pour finir, un apé­ri­tif est venu clore cette soi­rée en per­met­tant à un public conquis et enthou­siaste de pour­suivre les dis­cus­sions pas­sion­nantes enta­mées lors de la table ronde.

Nous remer­cions encore la Vau­doise Assu­rances pour l’ac­cueil ainsi que les dif­fé­rents inter­ve­nantes et inter­ve­nants pour la belle réus­site de cette soi­rée.

Cet article a paru pour la pre­mière fois dans PME Maga­zine le 24 jan­vier 2024.