Politique climatique: comment l’économie veut atteindre l’objectif zéro émission nette?
- Introduction L’essentiel en bref | Position d’economiesuisse
- Chapter 1 Où en est la Suisse?
- Chapter 2 Les apports de l’économie
- Chapter 3 Instruments de la politique climatique (globaux et nationaux)
- Chapter 4 L’économie vise l’objectif zéro émission nette
- Chapter 5 Évolutions actuelles – en Suisse et dans le monde
Instruments de la politique climatique (globaux et nationaux)
Un large éventail d’instruments politiques est à disposition pour atteindre les objectifs visés par la politique climatique. L’économie estime que les instruments choisis doivent, d’une part, produire l’effet voulu (efficacité) et, d’autre part, limiter au minimum les charges pour la société et l’économie (efficience). Dans cette optique, les instruments fondés sur le marché s’avèrent particulièrement adéquats pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
D’un point de vue économique, le problème du réchauffement climatique découle du manque d’internalisation des effets externes. Chaque tonne de CO2 émise dans le monde cause le même dommage, en contribuant au réchauffement global du climat. Comme ce dommage n’est pas encore quantifié financièrement, il n’est pas – ou pas assez – pris en compte dans les décisions d’investissement et d’achat.
C’est précisément là que les instruments fondés sur le marché interviennent, pour agir sur le comportement des producteurs et consommateurs en adaptant les prix («signaux de prix»), c’est-à-dire en rendant les produits et services plus ou moins chers. Les décisions des consommateurs et des producteurs sont influencées de sorte à favoriser les comportements causant moins d’émissions (investissements, achats).
Afin de trouver un prix raisonnable pour les émissions, il y a en principe deux moyens:
- introduire une taxe CO2 qui internalise les effets externes;
- limiter les émissions et créer une plateforme pour l’échange de quotas d’émission.
L’un comme l’autre sont déjà utilisés en Suisse, ce qui est une particularité en comparaison internationale. En plus d’appliquer l’une des taxes CO2 les plus élevées, notre pays a été l’un des premiers au monde à instaurer son propre système d’échange de quotas d’émission (SEQE). Aujourd’hui, il est – à juste titre – couplé avec le système européen.
Les émissions occasionnées par la Suisse représentent moins de 1‰ des émissions mondiales.
Étant donné que le réchauffement climatique est un problème planétaire, la concrétisation des objectifs internationaux par des mesures purement nationales a une portée limitée. La Suisse ne représente, rappelons-le, qu’un pour mille des émissions totales. Il faut donc aussi considérer les instruments nécessaires à l’échelle mondiale. Les efforts des pays individuels sont certes importants, mais aucun ne saurait résoudre à lui seul le réchauffement climatique.
Trois instruments pour une politique climatique mondiale
Une politique climatique efficace doit être fondée sur le marché et coordonnée au niveau mondial. Globalement, il faut viser les trois instruments suivants:
- Taxe CO2 mondiale: Il n’existe actuellement pas de vérité des coûts pour les émissions. La mesure centrale pour limiter le réchauffement climatique est donc de corriger cette défaillance du marché à l’échelle mondiale. À cette fin, le Fonds monétaire international recommande d'introduire un prix minimum pour les émissions de CO2 qui, à long terme, devrait se situer à 75 dollars par tonne de CO2. Un système qui prévoirait une taxe de 50 dollars pour les pays industrialisés du G20 et de 25 dollars pour les pays en développement du G20 réduirait déjà deux fois plus les émissions de CO2 que l’engagement pris par ces pays dans le cadre de l’accord de Paris de 2015. Le Pacte vert prévu pour l’Europe veut aussi introduire une imposition minimale des émissions néfastes pour le climat.
L’avantage d’une telle correction fondamentale du système est que l’impact de la politique climatique dépasse largement celui de mesures nationales isolées. Elle évite également les délocalisations, les failles et les distorsions. En s’unissant, les grands pays ou émetteurs pourraient parvenir à une telle correction systémique. Des institutions comme le G20 ou l’OCDE sont elles aussi très bien placées pour cela. La Suisse doit renforcer son engagement à cet égard. - Système mondial d’échange de quotas d’émission (SEQE): Un tel système plafonne – sous une forme définie politiquement – le volume total d’émissions autorisé et permet de vendre ou d’acheter ces émissions. L’effet de cet instrument est donc défini d’emblée. En Suisse, le système d’échange de quotas d’émission est jusqu’ici l’instrument le plus efficace, qui a permis un maximum de réductions avec un minimum de moyens. Grâce à l’accord de couplage des SEQE de la Suisse et de l’Union européenne, les entreprises de notre pays peuvent accéder à un marché plus vaste et réduire leurs émissions de CO2 à des coûts comparables. Cela crée des conditions équitables et élimine les distorsions concurrentielles. Le couplage des SEQE constitue donc un pas important vers la création d’une plateforme internationale pour l’échange des réductions d’émissions. Grâce aux mécanismes internationaux, les émissions peuvent être traitées à plus grande échelle et l’argent être investi là où il permet de réaliser les plus fortes réductions. Dès lors, une extension du SEQE européen aux systèmes d’autres régions du monde ainsi que la création de nouveaux SEQE doivent être saluées.
- Réductions à l’étranger selon l’accord de Paris: Pour la période jusqu’à 2030, les conférences sur le changement climatique n’ont malheureusement pas encore permis de percée pour la création de mécanismes de marché mondiaux. Le recours à ceux-ci fait pourtant partie intégrante de l’accord de Paris et l’impact de mesures pertinentes mises en place dans le cadre d’une collaboration internationale (normes élevées d’intégrité environnementale, prévention du double comptage, principe de l’additionnalité) dépasse largement celui d’instruments purement nationaux, appliqués de façon isolée.
À l’inverse, les réductions permises à l’étranger bénéficient aussi beaucoup aux pays concernés, d’une part en permettant plus d’économies que ces derniers n’auraient réalisées par leurs propres moyens, d’autre part en leur donnant, par un appui de l’étranger, accès aux dernières technologies de réduction des émissions et donc un soutien technologique. Il convient par conséquent de saluer de tels projets transnationaux.
Aménagement de mesures nationales
Les mesures nationales doivent avant toute chose éviter un dommage économique. Pour compléter les instruments internationaux présentés plus haut, il existe un vaste choix de mesures nationales fondées ou non sur le marché:
- Taxe d’incitation sur le CO₂: Comme expliqué plus haut, une taxe d’incitation sur les émissions polluantes est en principe la bonne approche. Les taxes d’incitation sont efficaces et engendrent peu de coûts de mise en œuvre. Les signaux de prix incitent continûment les entreprises et les particuliers à trouver la meilleure combinaison entre le changement de comportement (réduction des émissions) et la charge financière (taxe d’incitation). Dans une économie ouverte, l’effet d’une taxe nationale sur le CO2 est toutefois limité. Plus il y a d’asymétrie dans la mise en œuvre, c’est-à-dire de différence entre la Suisse et le reste du monde, plus les effets de délocalisation de l’industrie et le manque d’impact de la politique climatique sont grands. La Suisse applique déjà l’une des taxes CO2 les plus élevées au monde. L’augmenter encore de façon unilatérale nuirait à la place économique suisse et entraînerait de nouvelles délocalisations de l’industrie à l’étranger.
- Modèle des conventions d’objectifs: Une taxe CO2 combinée avec la possibilité de prendre un engagement de réduction d’émissions (convention d’objectifs) induit les plus fortes réductions d’émissions avec le moins de désavantages concurrentiels pour les entreprises. C’est le système mis en œuvre avec l’AEnEC. Dans cette approche, les entreprises s’engagent à atteindre un objectif de réduction des émissions, et récupèrent la taxe CO2 si elles l’atteignent. Il est important que toutes les entreprises aient plein accès à ce système. Puisqu’il permet de maintenir la compétitivité tout en appliquant une taxe nationale sur le CO2, ce modèle devrait être encouragé au niveau international également, afin de contribuer à ouvrir la voie à une taxe mondiale sur le CO2.
- Instruments non fondés sur le marché: D’autres instruments que ceux fondés sur le marché peuvent aussi servir à réduire les émissions. Il s’agit en particulier des réglementations, c’est-à-dire les règles et les normes. Elles imposent de façon ciblée des changements de comportement, par exemple par des exigences minimales pour les produits, limitant ainsi la liberté de choix du consommateur. Les normes d’émission pour les nouveaux véhicules et les critères d’efficacité pour les bâtiments en sont des exemples. Tandis que des normes internationalement coordonnées et largement soutenues peuvent être efficaces, des règles nationales («Swiss finish») limitent la liberté des consommateurs et augmentent les prix. Dans ce contexte, il faut aussi mentionner les mesures indirectes ou d’accompagnement. Des campagnes de sensibilisation et d’information, ainsi que des mesures dans le domaine de l’éducation, informent de larges pans de la population et les acteurs économiques sur les liens entre les émissions et les dommages causés par le changement climatique, renforcent la prise de conscience du problème et montrent les actions possibles (décisions d’achat, changements de comportement, investissements dans l’efficience énergétique, par exemple). L’objectif principal est d’accroître l’impact des autres mesures en comblant les lacunes dans les connaissances en la matière. Ces démarches complètent surtout d’autres instruments. Elles ont un effet plutôt modeste et sont donc d’une importance mineure d’un point de vue économique. Un autre groupe de mesures à mentionner concerne l’engagement volontaire, où il s’agit d’accords entre l’État et des acteurs privés, conclus sur une base volontaire. Les engagements volontaires sont efficaces, car les acteurs du secteur privé peuvent exprimer directement leurs préférences et mieux faire concorder les exigences avec leurs capacités.