Zwei Männer

«Nous devons être davantage à l’écoute»

Heinz Karrer et Monika Rühl répondent aux quetions d'Annika Bangerter et de Bastian Heiniger, deux étudiants de la MAZ, l'école de journalisme de Lucerne.

M. Karrer et Mme Rühl, vous dirigez economiesuisse ensemble depuis un an. Qui décide en coulisses ?

Heinz Karrer : En tant que directrice, Monika Rühl est à la tête des activités opérationnelles et moi, en tant que président, je m’occupe des décisions stratégiques. Pour ce qui est des activités de communication, comme les discussions avec les médias et la participation à des podiums, nous les effectuons tous les deux. Ainsi, nous sommes plus présents sur le terrain.

Monika Rühl : Nous ne décidons pas qui fait quoi en coulisses ou sur le devant de la scène, mais ce qui est d’ordre stratégique ou opérationnel. Bien sûr, il n’est pas toujours facile de trancher. Aussi est-il important que nous discutions régulièrement et nous mettions d’accord. Nous nous voyons tous les quinze jours pour une discussion approfondie. Dans l’intervalle, nous utilisons les moyens de communication électroniques.

Que se passe-t-il quand vous n’êtes pas du même avis ?

M. Rühl : Notre savoir-faire et notre expérience respectifs se complètent idéalement. Heinz Karrer a l’expérience du monde économique et moi je connais bien l’administration et les milieux politiques. Quand nous discutons, chacun peut mettre à profit ses forces. Nous trouvons de bonnes solutions ainsi.

H. Karrer : Cela explique aussi que nous n’ayons pas eu de divergence d’opinion fondamentale jusqu’à présent. Dans nos discussions, nous élaborons une position commune sur les sujets, mais aussi sur la manière d’aborder une question.

Vous dites que vous vous partagez les contacts avec les médias. Pourtant, dans la banque de données des médias helvétiques (SMD), il y a deux fois plus de résultats pour vous M. Karrer.

M. Rühl : Il est entré en fonction une année avant moi (rire).

Nous n’avons compté que les résultats pour l’année écoulée. Est-il typiquement féminin de travailler davantage en coulisses ?

M. Rühl : Pas du tout. J’ai été nommée en février 2014 et j’ai participé à une conférence de presse d’economiesuisse à ce moment-là. À cette occasion, Heinz Karrer et Hanz Hess, notre vice-président, m’ont présentée aux médias. Puis, nous nous sommes dit que je disparaîtrais de la scène médiatique jusqu’à mon entrée en fonction le 1er septembre. De plus, il est normal que l’opinion publique ait l’impression que le président joue un rôle plus important.

Mme Rühl, vous avez travaillé pour la Confédération, auparavant, où vous étiez surtout active en coulisses. Comment vivez-vous le côté public de vos nouvelles fonctions ?

M. Rühl : C’était nouveau pour moi, mais je m’y suis habituée – et cela me plaît. Dans mes précédentes fonctions, il m’arrivait aussi d’être en contact avec des journalistes, mais pas aussi souvent. Heinz Karrer et moi travaillons en tandem, ce qui nous permet de couvrir un répertoire plus large. On me sollicite souvent pour des questions concernant les femmes, par exemple. C’était le cas lorsque le Conseil fédéral a proposé d’instituer des quotas de femmes pour le conseil d’administration et la direction des sociétés cotées en Bourse. À cette période, j’ai reçu davantage de demandes des médias, parce qu’economiesuisse, mais moi aussi en tant que femme, sommes opposées à ces quotas.

Pourquoi êtes-vous opposée à un quota de femmes ?

M. Rühl : Depuis quelque temps, le nombre de femmes nommées dans les conseils d’administration et à la direction des entreprises est en hausse, ce qui est réjouissant. Des quotas stricts permettraient à des femmes de parvenir à une position sans qu’elles possèdent le profil requis. Ce serait contre-productif. J’aimerais que la bonne personne soit au bon endroit, les femmes aussi. De plus, introduire un quota au sein de la direction constituerait une intervention massive dans la liberté d’entreprise.

LA CONFIANCE DANS L’ÉCONOMIE

La relation entre les milieux économiques et la population n’est pas aussi harmonieuse que la vôtre. L’initiative contre les rémunérations abusives et celle contre l’immigration de masse ont révélé une fracture ces dernières années.

M. Rühl : Je l’avais déjà constaté quand je travaillais encore à Berne. La compréhension mutuelle n’est pas non plus toujours parfaite entre les milieux économiques et politiques. Les acteurs économiques ne comprennent souvent pas comment la politique fonctionne – et inversement. Nous ne devons pas laisser ces milieux se distancier davantage.

Comment comptez-vous l’éviter ?

M. Rühl : Nous avons lancé un programme baptisé « Économie et société ». Dans ce cadre, nous souhaitons expliquer comment l’économie fonctionne, quels sont ses besoins et les conditions-cadre nécessaires. Nous devons aussi être davantage à l’écoute – des acteurs politiques, mais surtout de la population. Ainsi seulement serons-nous en mesure de mieux cerner leurs préoccupations et leurs craintes.

Beaucoup de gens sont irrités par les rémunérations élevées des managers. Quand ces rémunérations seront-elles enfin revues à la baisse ?

H. Karrer : Les revenus extrêmes qui ont fait débat par le passé et qui n’étaient plus en accord avec l’évolution des entreprises n’ont plus cours. Le transfert de compétences en faveur des actionnaires y a contribué. Et d’une manière générale, les revenus sont répartis de manière plus équilibrée en Suisse qu’en France ou en Allemagne.

M. Rühl : Dans le cadre du programme « Économie et société », nous travaillons en collaboration avec des ambassadeurs de l’économie notamment. Il s’agit de personnalités triées sur le volet ancrées au niveau régional. Des patrons, dans le sens traditionnel et positif du terme, qui se soucient de leurs employés. Il est important de mettre à nouveau en avant le côté humain des entreprises. Ainsi, nous pourrons montrer la grande diversité de l’économie et démontrer que les rémunérations dont il a été question par le passé étaient des cas isolés.

La population n’a probablement pas de problème avec les patrons bien ancrés dans le terreau régional. Les entreprises ont par contre fait venir davantage de CEO étrangers ces dernières années, qui n’ont pas ces racines et qui repartent après quelques années.

H. Karrer : On observe effectivement une telle évolution. Nous nous efforçons de sensibiliser ces cadres étrangers et de les convaincre de participer au moins indirectement aux discussions sur la politique économique en Suisse. Notre démocratie directe est unique : elle reste d’une grande modernité même si elle a une longue tradition. Il existe des moyens de participation et de codécision – si on le veut bien.

LE FRANC FORT

Le franc fort met le pays en émoi. Quel est le danger réellement encouru par l’économie ?

H. Karrer : Un très grand nombre d’entreprises sont confrontées à des défis de taille. Des investissements sont gelés, des sites de production fermés, parfois pour être délocalisés à l’étranger, et certaines activités spécifiques sont abandonnées ou aussi délocalisées à l’étranger. Les entreprises internationales investissent de plus en plus hors de Suisse. À cela s’ajoute l’intérêt nettement moindre des entreprises étrangères pour la place économique suisse. Ce qui nous inquiète le plus, c’est que nous ne sommes qu’au début de ce processus. Nous devons nous attendre à la disparition d’un grand nombre d’emplois en Suisse – essentiellement dans l’industrie. Une fois que des emplois auront été transférés à l’étranger, il ne sera guère possible de les faire revenir.

Qu’est-ce qui soulagerait les entreprises suisses dans cette situation ?

M. Rühl : Nous ne voulons pas d’un programme d’impulsion. Ces programmes ne servent à rien. Le problème des entreprises, ce sont les coûts. Du point de vue économique, il n’y a qu’un chemin : renoncer à des réglementations qui font augmenter les coûts. Il y a, d’une part, des réglementations en vigueur dont la pertinence doit être remise en question. Cependant, il y a surtout, d’autre part, des projets de nouvelle réglementation.

Pourriez-vous donner un exemple ?

M. Rühl : Oui, il y a la révision du droit de la société anonyme, par exemple. À notre avis, la révision de cette législation ne s’impose pas, car l’initiative Minder a déjà été mise en œuvre dans une ordonnance. Dans le projet « Économie verte » aussi, on tente de résoudre des problèmes à coup de mesures administratives et d’interventions étatiques.

Vous disiez que nous sommes au début d’une phase difficile qui durera un certain temps. Cela signifie-t-il qu’il faut renoncer à toute réglementation ces dix prochaines années ?

H. Karrer : Pas du tout. Mais les réglementations doivent être judicieuses, elles doivent tenir compte de la situation internationale et résister à une analyse coût-utilité. Prenons les services financiers, par exemple. Nous sommes d’accord qu’une réglementation est nécessaire en ce qui concerne la stabilisation financière ou la dotation en fonds propres. En raison du renchérissement supplémentaire dû au franc fort, nous devons toujours nous demander si une réglementation supplémentaire ne détériore pas davantage les conditions-cadre économiques en comparaison internationale.

La situation est difficile pour de nombreuses entreprises suisses. Mais le franc fort est-il aussi utilisé comme prétexte pour rationaliser et délocaliser des activités ?

M. Rühl : Les entreprises de notre pays sont fières d’être suisses ! Elles souhaitent rester ici. Actuellement cependant, trop de questions ouvertes rendent notre place économique vulnérable : le franc fort, la fiscalité des entreprises, les relations avec l’UE, l’approvisionnement énergétique et la prévoyance vieillesse. Nos conditions-cadre sont sous pression.

Pour ce faire, les milieux politiques et économiques devraient à nouveau se rapprocher – c’est un de vos objectifs prioritaires.

M. Rühl : Oui, on peut aussi voir la situation de manière positive. Nous avons la possibilité de revoir nos conditions-cadre. Notre objectif n’est pas seulement que les entreprises soient fortes en Suisse, mais aussi que la place économique soit forte.

H. Karrer : Les situations difficiles renferment toujours aussi des chances. À nous de les identifier et de les saisir. Nous devons encourager le dialogue entre les milieux économiques et politiques. Nous devons renforcer davantage la formation et l’innovation. Sur le plan politique, nous devons parvenir à une réforme de la fiscalité des entreprises susceptible de réunir une majorité de voix et surtout maintenir les accords bilatéraux. Nous avons du pain sur la planche et nous relevons le défi.

NUMÉRISATION

Une autre évolution suscite également l’inquiétude : l’automatisation et la numérisation progressent à grands pas. Des caisses automatiques apparaissent dans les magasins, des imprimantes 3D produisent toutes sortes d’objets, des voitures automatiques arrivent. Serons-nous bientôt tous au chômage ?

H. Karrer : Certains emplois vont disparaître. Mais l’innovation est aussi un vecteur de création d’emploi. L’industrie a déjà considérablement changé et poursuit sa mue – en recourant à la robotique notamment. D’autres évolutions importantes vont encore se produire. On l’a déjà vu dans le secteur automobile. Mais aussi dans le domaine de la santé, dans le domaine de la gestion des médicaments. Il y a beaucoup de potentiel. De plus, la numérisation fait émerger d’autres activités créatrices de valeur.

Il n’est pas donné à tout le monde d’être ingénieur ou développeur.

H. Karrer : Les autres possibilités restent innombrables, dans les secteurs de la santé et du tourisme par exemple, où le contact personnel est indispensable.

M. Rühl : Quelle que soit la voie choisie, il me semble important de continuer à se former tout au long de son parcours professionnel. On peut parfaire ses connaissances dans tous les métiers.

H. Karrer : De par son organisation, notre système de formation s’ajuste à une telle évolution. Nous avons, d’une part, les formations gymnasiales et universitaires avec la recherche fondamentale. Et, d’autre part, nous avons l’apprentissage, qui permet aussi d’accéder à une formation supérieure. Ce système est unique.

Notre système de formation s’autorégule pour ainsi dire. Si le nombre de travailleurs dans une branche diminue, le nombre d’apprentis formés aussi.

H. Karrer : Exactement. Quelque 70 % des travailleurs arrivent sur le marché du travail par la voie de l’apprentissage. Grâce à notre système de formation, nous pouvons tenir compte des besoins de l’économie. C’est la raison pour laquelle le chômage, notamment celui des jeunes, est bas en Suisse en comparaison internationale.

Dans quelle mesure les grandes firmes numériques de la Sillicon Valley sont-elles en concurrence avec les entreprises suisses ?

M. Rühl : Elles représentent autant une menace qu’une chance. La Suisse doit passer la vitesse supérieure. C’est pourquoi nous soutenons le parc national d’innovation. Il favorisera la formation de pôles d’entreprises innovantes. La Suisse en a besoin pour rester compétitive.

Dans quels domaines la Suisse doit-elle innover ?

M. Rühl : L’innovation est nécessaire dans toutes les branches : la place financière, l’industrie pharmaceutique, l’industrie horlogère. Je ne vois aucune branche qui n’en aurait pas besoin. Les entreprises qui n’innovent pas disparaissent rapidement.

DÉVELOPPEMENT DURABLE

Comment définit-on le développement durable chez economiesuisse ?

H. Karrer : Nous attachons une grande importance au développement durable. Mais nous souhaitons aussi que les discussions sur ce thème tiennent compte de ses trois dimensions : économique, sociale et environnementale. Il s’agit de trouver un équilibre entre les trois. Si on examine les classements mondiaux, la Suisse est à la pointe en matière de compétitivité, mais aussi dans le domaine de l’environnement.

Cependant, c’est ce que montre l’analyse du « Global Footprint », si tous les pays consommaient autant de ressources que la Suisse, nous aurions besoin de trois planètes.

H. Karrer : C’est une discussion très difficile, car le niveau de prospérité varie fortement d’un pays à l’autre. On ne peut pas comparer un pays en développement avec un pays industrialisé. La nécessité d’agir est incontestée – tout comme le besoin de rattrapage des pays en développement. Plus nous innovons, plus nous générons de prospérité et plus nous pouvons investir dans la protection de l’environnement.

M. Rühl : C’était déjà ainsi par le passé. Les gens de ma génération se souviennent qu’on ne pouvait pas se baigner dans tous les lacs et toutes les rivières suisses il y a quelques décennies. Leurs eaux étaient parfois trop polluées. Ce serait impensable aujourd’hui. De même, la superficie des forêts augmente de nouveau en Suisse. La sensibilité accrue au développement durable au sein de la population, comme de l’économie, se mesure à ces exemples positifs.

Dans ces conditions, pourquoi les milieux économiques ne voient-ils pas le projet « Économie verte » comme une chance ?

H. Karrer : Selon nous, il n’apporterait rien. Nous sommes d’accord avec les initiants sur le fait qu’il faut ménager les ressources. Cependant, le projet – ainsi que le contre-projet – prévoit notamment d’introduire une analyse des cycles de vie. Celle-ci examine la production ou l’extraction des matières premières, leur transport et leur transformation. C’est une question complexe et chaque analyse s’appuie sur une série d’hypothèses qui ne reposent pas sur des bases normalisées. Nous nous opposons au projet, car nous estimons que de nombreuses réflexions sont contre-productives, qu’il alourdirait les charges administratives des entreprises et qu’il suppose de se détourner de la politique actuelle en matière de CO2.

Dans quelle mesure le projet est-il contre-productif ?

H. Karrer : Il présente des conflits d’objectifs. Selon les hypothèses retenues pour l’analyse du cycle de vie, il est certes possible de ménager les ressources, mais pas d’atteindre les objectifs fixés en termes de CO2.

economiesuisse a fortement réagi aussi en ce qui concerne la thématique du CO2. Le projet du Conseil fédéral visant à réduire les émissions de 50 % d’ici à 2030 par rapport à 1990 a subi ses critiques. Ce plan était jugé « trop ambitieux » au vu de la pression subie par les entreprises en matière de coûts.

H. Karrer : Nous soutenons cette réduction. Par contre, nous souhaitons que les certificats d’émission européens et d’autres pays soient également admis. Ils sont nettement meilleur marché. Pour nous, et comme les émissions de CO2 ne s’arrêtent pas à la frontière, il est essentiel d’atteindre un effet de réduction maximal avec les ressources investies. Nous devons naturellement aussi agir à l’échelle nationale, en tenant compte des incidences économiques.

Un peu plus tôt vous disiez que tous les domaines doivent innover. Avec les certificats étrangers, la Suisse ne manque-t-elle pas une occasion de développer elle-même un savoir-faire ?

H. Karrer : Mais on le fait. Quantité d’entreprises suisses ont développé des produits consommant peu d’énergie qui font un tabac à l’exportation. C’est formidable ! La place économique suisse doit rester attrayante pour ces entreprises. Nous trouverons un bon équilibre en réduisant également les émissions de CO2 en Suisse. Cependant, nous pensons qu’une part importante des émissions doivent être compensées à l’étranger.

Notre système économique se fonde sur la croissance. Sachant que les ressources de la planète ne sont pas infinies, combien de temps pourrons-nous continuer ainsi ?

M. Rühl : Ce débat passionnant accompagne l’humanité depuis longtemps. Prenons l’exemple de Londres en 1885. À l’époque, les Londoniens pensaient que la ville allait être envahie de crottin de cheval. On pensait que le trafic augmenterait de manière linéaire et qu’il y aurait donc toujours plus de calèches et de chevaux dans les rues. Cet exemple illustre le fait que les individus s’imaginent que tout restera identique. Raison pour laquelle ils voient toujours les limites de la croissance. À propos de Londres, nous savons aujourd’hui que les calèches ont été remplacées par des voitures. Nous devons voir la croissance comme un développement technologique.

H. Karrer : Il y a aussi le fait que la population assimile souvent la croissance à une augmentation des volumes. Vu sous cet angle, il est vrai que les ressources ne sont pas infinies. Or nous devons viser, au contraire, une croissance fondée sur la création de valeur.

La croissance reste donc le fondement des économies ou voyez-vous une autre voie possible ?

H. Karrer : Il est difficile de dire ce qui nous attend. Si nous parvenons à renforcer la croissance qualitative, je pars de l’idée que le modèle actuel perdurera. On sous-estime largement l’adaptabilité et la capacité d’innovation de l’homme.

M. Rühl : C’est vrai. À la fin du XIXe siècle, les individus ne pouvaient pas imaginer comment le problème du crottin de cheval serait résolu. Pour eux, le cheval était indissociable du trafic routier. De même, quand j’étais enfant, je n’aurais jamais imaginé que nous aurions des ordinateurs un jour. Je suis convaincue que, au cours des cinquante prochaines années, nous assisterons à des évolutions que ne pouvons pas du tout imaginer aujourd’hui.

Vous n’entendez tout de même pas comparer le crottin de cheval de l’époque à la technologie actuelle ? La technologie a besoin de ressources qui ne sont pas inépuisables.

M. Rühl : Comment savoir si nous aurons encore besoin de ces matières premières dans dix ou vingt ans ? On développe déjà des carburants synthétiques.

H. Karrer : Les nanotechnologies renferment également un grand potentiel. Toute la difficulté est d’imaginer les innovations qu’elles permettent.

SUISSE ET EUROPE

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À propos de croissance, ce sont surtout les dettes qui montent en flèche. La Banque centrale européenne (BCE) injecte chaque mois 60 milliards d’euros sur le marché pour relancer la croissance économique. Pourra-t-on jamais amortir ces dettes ?

H. Karrer : Si les mesures de la BCE parviennent à relancer l’économie et que celle-ci crée une valeur ajoutée, la stratégie aura fonctionné. Mais il faut accompagner ces mesures de réformes en profondeur dans de nombreux pays européens.

M. Rühl : Les pays et les économies recherchent la croissance. On le voit en Asie ou dans les pays en développement en général – et désormais aussi en Europe avec les programmes de relance. Elle est le meilleur moteur pour sortir les gens de la pauvreté. La votation sur l’initiative Ecopop a suscité un débat intense sur ces questions en Suisse. Les voix hostiles à la croissance ont diminué depuis le 15 janvier. Car la croissance est un objectif de toutes nos sociétés.

La stratégie de la BCE a-t-elle déjà montré de premiers résultats ?

H. Karrer : Une lueur d’espoir pointe à l’horizon pour quelques indicateurs conjoncturels. Toute la question est de savoir si ces signes prometteurs tiendront leurs promesses. Nous sommes convaincus que des réformes approfondies seraient nécessaires dans toute une série de pays européens pour que leurs économies renouent avec une croissance solide. Nous craignons toutefois que le chemin soit encore long jusqu’à ce que l’Europe renoue avec une croissance durable.

M. Rühl : À cela s’ajoute que les prix du pétrole sont bas, ce qui a aussi pour effet de stimuler la croissance économique. Il est donc difficile de dire précisément comment la croissance est générée en Europe. Un autre élément à prendre en considération est que l’euro restera faible aussi longtemps que le programme de la CBE sera en place. C’est avantageux pour les exportateurs européens, dont les produits sont moins chers. Mais cela nous pose un problème en Suisse, car un euro faible implique un franc fort.

La Suisse a-t-elle d’autres partenaires que l’UE ou est-elle réellement dépendante de ce marché ?

H. Karrer : Parler de dépendance semble très négatif. Formulons la chose de manière positive : c’est un immense avantage de se trouver dans l’espace économique européen. Quelque 56 % des exportations suisses sont destinées à l’Union européenne. Quand l’UE connaît des difficultés, nous avons du mal à écouler nos produits.

M. Rühl : Je pars du principe que l’UE demeurera notre principal partenaire commercial également à moyen terme. Cela dit, nous devons donner à nos entreprises la possibilité de diversifier leurs exportations. Les États-Unis sont notre deuxième partenaire commercial le plus important. Si l’UE et les États-Unis concluent un accord (cf. TTIP, remarque de la rédaction), il serait important que nos entreprises puissent y participer. Nous avons déjà signé des accords de libre-échange avec le Japon et la Chine. Nous en avons besoin pour élargir l’assise de l’économie suisse. En effet, les entreprises qui dépendent des exportations vers l’UE pâtissent nettement plus du franc fort que celles qui exportent à l’échelle mondiale.

On ignore pour l’heure ce qu’il adviendra des accords bilatéraux.

H. Karrer : Leur maintien est très important pour la Suisse. Le partenariat avec l’UE est décisif, raison pour laquelle nous faisons tout pour maintenir les accords bilatéraux. Il s’agit dans un premier temps de mettre en œuvre l’initiative contre l’immigration de masse de  manière à préserver une flexibilité maximale tout en respectant l’article constitutionnel. Plus la mise en œuvre est restrictive, plus les négociations avec l’UE seront ardues.

Comment mettriez-vous en œuvre cette initiative à la place du Conseil fédéral ?

H. Karrer : Nous adapterions principalement trois points du projet. Premièrement, nous souhaitons que le séjour de courte durée atteigne douze mois au lieu de quatre. Ainsi, des branches à faible création de valeur, comme le tourisme ou l’agriculture, auraient davantage de possibilités pour embaucher de la main-d’œuvre sans puiser dans les contingents. Deuxièmement, nous souhaitons que les frontaliers soient l’affaire des cantons – et qu’ils n’entrent pas dans les contingents. Le fait est que la situation varie fortement d’un canton à l’autre. Enfin, troisièmement, nous proposons la clause de sauvegarde. Des contingents s’appliqueraient si des seuils sont franchis. Une fois qu’ils seraient épuisés, l’immigration dépendrait de l’émigration. Cette clause de sauvegarde aurait deux avantages : le potentiel de la main-d’œuvre indigène serait mieux utilisé et diverses clauses de sauvegarde existent en Europe. Cela devrait faciliter les négociations.

Revenons sur votre collaboration pour terminer l’entretien. Comment résumeriez-vous les premiers mois ?

H. Karrer : Dans l’ensemble, l’organisation navigue dans des eaux beaucoup plus calmes. Cela tient certainement aussi au fait que tous les postes sont désormais repourvus. Cela donne de la stabilité et du calme – la condition d’un travail concentré et efficace. La collaboration avec Monika Rühl s’est déroulée sans accrocs depuis le début – c’est à la fois structuré et facile. Globalement, c’est une très bonne expérience pour moi.

M. Rühl : Pour moi aussi. Je constate également un apaisement en ce qui concerne la perception d’economiesuisse. Nous recevons des retours positifs sur notre travail. Il est de nouveau apprécié, ce qui est également important pour la motivation de l’équipe. Nous sommes à nouveau au complet et avons procédé à une petite réorganisation de la communication. L’un ajouté à l’autre nous motive encore plus. J’en suis ravie. La collaboration avec Heinz Karrer se passe de manière idéale pour moi. J’espère qu’elle se poursuivra encore de nombreuses années.