La mutation structurelle en Suisse: perception et réalité
- Introduction L’essentiel en bref | Position d’economiesuisse
- Chapter 1 La mutation technologique, une menace pour l’humanité?
- Chapter 2 Le marché du travail en perpétuel mouvement
- Chapter 3 D’où vient la peur d’une «robocalypse»?
- Chapter 4 Conclusion
Le marché du travail en perpétuel mouvement
L’analyse ci-dessus englobe un horizon temporel de plus de cent ans, période durant laquelle le nombre de personnes actives a régulièrement augmenté. L’examen de la situation à long terme occulte toutefois la dynamique élevée du changement structurel à court terme (moins d’une année), que ce soit au sein des branches ou entre elles. C’est la raison pour laquelle nous avons analysé la dynamique du marché du travail en 2015 à l’aide de la statistique structurelle des entreprises (STATENT) de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Le choix de l’année 2015 est d’autant plus intéressant que la BNS avait aboli en début d’année le cours plancher du franc par rapport à l’euro. Le choc du franc fort présente certaines similitudes avec un choc technologique, dans la mesure où il contraint les agents économiques à engager des réformes structurelles et à innover. Il produit toutefois des effets nettement plus rapides que l’évolution technologique. Combien d’emplois ont réellement été détruits et créés en 2015?
Les évaluations montrent que 460 296 emplois ont été supprimés en Suisse en 2015, soit environ 9,1% de l’emploi total. Ce sont donc chaque mois 38 400 emplois qui ont disparus cette année-là, soit en moyenne 1250 par jour; 168 663 des 460 296 suppressions de postes concernaient des fermetures d’entreprises, ce qui représente une part de 36,6%. Les 63,4% restants (291 633 postes) ont été le fait d’entreprises existantes. Ces chiffres impressionnants semblent montrer que le choc du franc a eu des conséquences sévères pour le marché du travail. Une telle allégation peut se révéler exacte pour l’industrie exportatrice, mais dans une perspective agrégée, il apparaît que 492 604 emplois ont été créés au cours de la même période, soit 9,8% de l’emploi total. Cela représente environ 41 000 nouveaux emplois par mois et 1350 par jour. Sur les nouveaux emplois créés, 184 189 (37,4%) concernaient de nouvelles entreprises et 308 415 (62,6%) des entités existantes.
L’analyse fait donc apparaître une très forte dynamique de suppressions ET de créations d’emplois. Si en moyenne plus de mille postes de travail ont été supprimés quotidiennement en 2015, le nombre d’emplois créés est resté supérieur. À noter que ces chiffres sous-estiment la dynamique du marché du travail, et cela pour deux raisons: premièrement, les évaluations sont fondées uniquement sur les variations de l’effectif des entreprises d’une année à l’autre, ce qui signifie que les formes d’emploi d’une durée inférieure à douze mois n’ont pas été enregistrées. Deuxièmement, la restructuration des postes de travail au sein des entreprises n’est pas prise en considération, car elle n’a aucune incidence sur le nombre d’emplois. Comme des travaux scientifiques l’ont démontré, la dynamique réelle est probablement supérieure d’environ 50% à la valeur issue de la méthodologie utilisée. Si l’on applique ces considérations à nos statistiques, il apparaît qu’environ 2000 nouveaux emplois ont été générés quotidiennement en 2015, ce qui représente près de 15% de l’emploi total.
On peut aussi se demander si l’année 2015 a constitué une situation exceptionnelle caractérisée par une dynamique anormalement élevée du marché du travail. À cette fin, nous avons comparé les données de la Suisse avec celles d’autres pays au fil du temps. Une statistique de l’OCDE, qui mesure la durée de l’emploi actuel, fournit des indications sur la dynamique des marchés du travail. Établie sur la base des données fournies par les travailleurs, cette statistique montre qu’en 2015, 751 000 personnes exerçaient en Suisse leur activité depuis moins d’un an. Cela correspond à 16,3% de l’ensemble de la population active. Entre 2000 et 2016, cette proportion a évolué dans une fourchette comprise entre 13,7% et 16,4%. En d’autres termes, 2015 n’a pas été une année atypique: elle a certes affiché une dynamique élevée, mais qui n’avait rien d’exceptionnel.
Quelle est la dynamique du marché suisse du travail en comparaison internationale? Si le taux de rotation des effectifs est plus élevé dans les économies scandinaves, il affiche des valeurs nettement inférieures dans certains pays du sud de l’Europe. Au Danemark, 21% des travailleurs ont déclaré en 2015 occuper leur poste de travail actuel depuis moins d’un an, contre 19,6% en Suède. Plus près de chez nous, tous nos voisins affichent des taux de rotation nettement plus faibles, à l’image de l’Allemagne (13,0%), de la France (12,6%) et de l’Autriche (14,9%). Les taux de rotation les plus bas sont observés en Italie (10%) et en Grèce (10,1%).
Figure 3
En 2015, les postes créés étaient plus nombreux que les postes supprimés. La différence était de 88 postes par jour en moyenne.
L’analyse des comptes globaux du marché du travail confirme son dynamisme: entre 2005 et 2015, quelque 3,4 millions de personnes ont accédé au marché du travail alors qu’un peu plus de 3 millions l’ont quitté. Durant la même période, 1,7 million de personnes de nationalité étrangère sont arrivées sur le marché suisse et 1,1 million l’ont quitté.
La dynamique des transitions entre l’emploi et le chômage est également impressionnante. Les relevés du SECO montrent que si le nombre de demandeurs d’emploi est passé de 220 000 à 223 000 entre le début et la fin de l’année 2016, seules 60 000 des 220 000 personnes présentes dans l’effectif des demandeurs d’emploi en début d’année y figuraient toujours douze mois plus tard. Au cours de la même période, 320 000 personnes se sont annoncées auprès des offices régionaux de placement (ORP) et 320 000 se sont désinscrites.
La dynamique du marché du travail est impressionnante. Chaque jour, plus de mille emplois sont supprimés mais davantage encore sont créés. Comment expliquer de tels mouvements?
Processus régulier de destruction créatrice
Le fort dynamisme du marché du travail résulte de la redistribution actuelle des facteurs de production « travail » et « capital », que les entreprises cherchent à associer de manière optimale. Quelle que soit leur importance, les progrès technologiques et méthodologiques se traduisent par un changement régulier de cette allocation optimale du travail et du capital. Cela implique de remplacer les structures existantes, les facteurs de production étant alors redistribués. Ce processus est appelé destruction créatrice, car il s’accompagne d’une hausse de la productivité.
L’observation des redistributions du facteur travail dans les différents secteurs facilite la compréhension de la destruction créatrice.
Il est intéressant de constater que de nombreux emplois sont créés dans les branches dont l’importance tend à reculer. Cela contredit la croyance populaire selon laquelle des postes de travail y seraient supprimés alors que de nouveaux postes seraient créés dans les secteurs en plein essor. Par exemple, 31 570 postes ont vu le jour dans le commerce de détail en 2015. Le rapport entre les emplois détruits et les nouveaux postes s’établit dans l’ensemble à 78,6% dans les branches en déclin, qui présentent un solde d’emploi négatif. En d’autres termes, quatre postes sur cinq supprimés dans ces branches y sont recréés en dépit de l’évolution générale défavorable de l’emploi. Les transferts de postes entre les secteurs et la mutation connexe du marché du travail sont donc plus lents que ce que l’on pourrait penser.
Il convient également de souligner que la part des postes supprimés à la suite de fermetures d’entreprises est plus élevée dans les branches affichant un solde d’emploi positif que dans celles ayant un solde négatif. La dynamique entre les entrées et les sorties du marché et, partant, la redistribution du travail influent donc favorablement l’emploi au sein d’une branche.
Figure 4
En 2015, les créations de postes ont été supérieures aux suppressions dans le secteur privé et dans les branches proches de l’État.
La figure 4 montre dans quelle mesure le choc causé par l’appréciation du franc a affecté les entreprises exportatrices. Ainsi, 3,2% des emplois (valeurs nettes) ont dû être supprimés dans l’industrie des machines.
Il en ressort également que l’État a proposé beaucoup de nouveaux postes en 2015. Bien que l’on ne puisse établir aucune distinction précise entre l’État et l’économie privée dans certaines branches, celles-ci peuvent être classées sommairement. Selon cette évaluation, tant l’État que l’économie privée ont contribué aux créations de postes en 2015, ce qui est surprenant compte tenu du choc susmentionné. Cette même année, 32 418 emplois ont vu le jour dans les secteurs principalement publics (dont près de 40% dans le domaine de la santé), tandis que les entreprises privées ont créé 1525 postes au total, malgré la crise consécutive à l’appréciation du franc. Le solde d’emploi des branches ne pouvant pas être clairement affectées à l’État ou à l’économie privée s’est inscrit à –1000 postes environ.
Quelles branches sont privées? Lesquelles sont principalement publiques?
Branches organisées selon le droit public:
Administration publique, défense et assurances sociales; enseignement; activités pour la santé humaine; hébergement médico-social et social (hors centres de repos et de vacances) et action sociale (hors hébergement)
Branches organisées selon l’économie privée:
Industries extractives; industries alimentaires, fabrication de boissons et de produits à base de tabac; fabrication de textiles, industrie de l’habillement, industrie du cuir et de la chaussure; travail du bois, industrie du papier et du carton, imprimerie; cokéfaction et raffinage, industrie chimique; industrie pharmaceutique; fabrication de produits en caoutchouc et en plastique, fabrication d’autres produits minéraux non métalliques; métallurgie, fabrication de produits métalliques, à l’exception des machines et des équipements; fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques; fabrication d’équipements électriques; fabrication de machines et équipements; industrie automobile; autres industries manufacturières, réparation et installation de machines et d’équipements; production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné; construction de bâtiments et génie civil; travaux de construction spécialisés; commerce et réparation d’automobiles et de motocycles; commerce de gros, à l’exception des automobiles et des motocycles; commerce de détail, à l’exception des automobiles et des motocycles; transports terrestres et transport par conduites; transports par eau; transports aériens; entreposage et services auxiliaires des transports; hébergement; restauration; édition, production de films cinématographiques, de vidéos et de programmes de télévision; enregistrement sonore et édition, télécommunications; programmation, conseil et autres activités informatiques; activités des services financiers, hors assurance et caisses de retraite; assurance; réassurance et caisses de pensions (hors assurances sociales); activités auxiliaires de services financiers et d’assurance; activités immobilières; activités juridiques et comptables; activités des sièges sociaux; conseil de gestion; activités d’architecture et d’ingénierie; activités de contrôle et analyses techniques; activités spécialisées, scientifiques et techniques; autres activités spécialisées, scientifiques et techniques; activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises; activités liées à l’emploi
Branches non affectées:
Agriculture, sylviculture et pêche; activités de poste et de courrier; production et distribution d’eau, assainissement, gestion des déchets et dépollution; recherche-développement scientifique