Inégalités de fortune: un problème qui n'en est pas un
Les inégalités de fortune seraient plus fortes en Suisse qu'aux Etats-Unis. Est-ce vraiment un problème? Et a-t-on bien tout pris en compte?
Le Temps a publié un article décrivant l’augmentation des inégalités de fortune en Suisse, qui seraient plus fortes qu’aux Etats-Unis. L’article se basait sur une étude de chercheurs épaulés par une conseillère nationale socialiste. L’étude vise en fait à nous faire comprendre qu’il manque un impôt sur les successions en ligne directe digne de ce nom en Suisse, aussi bien au niveau fédéral que cantonal.
Mais pour arriver à cette conclusion, on se fait un peu promener: ainsi par exemple, l’augmentation des inégalités serait due à la baisse des impôts sur la fortune. «A mesure que l’impôt baisse, les inégalités s’accroissent», tel est le titre d’un graphique. Mais l’affaire se dégonfle ensuite, puisque les inégalités ont augmenté aussi dans des cantons qui n’ont jamais baissé leur taxation.
Ma critique porte plutôt sur deux autres aspects: d’abord, la comparaison est effectuée uniquement sur la fortune imposable; ensuite je dénonce l’idée sous-jacente que les inégalités de fortune créent un problème social.
Tenir compte du 2e pilier
Les comparaisons en termes de fortune occultent la fortune non imposable, c’est-à-dire celle du 2e pilier. L’ensemble des caisses de pension gère environ 1200 milliards de francs. Pour de nombreux travailleurs, les montants du 2e pilier sont probablement supérieurs à leur fortune propre. Si l’on tenait compte du 2e pilier, sans doute les inégalités seraient moins «marquées».
Ensuite, la question peut se poser de savoir si les inégalités de fortune posent un problème de société, à savoir si elles ont un impact négatif sur l’ensemble des contribuables. A titre personnel, j’en doute. Bien sûr, les différences suscitent de la jalousie. Mais la présence d’un riche pose-t-elle en soi un problème à une personne de la classe moyenne? Certainement pas.
Pour la «démonstration», imaginons un instant que Jeff Bezos, Elon Musk et Bernard Arnault s’établissent en Suisse (pure hypothèse!). Que se passerait-il donc en termes de fortune? Et bien, mécaniquement, les inégalités de fortune exploseraient puisque ces trois hommes d’affaires sont les plus riches du monde!
Est-ce que la situation du reste de la population se détériorerait pour autant? On ne voit pas comment, d’autant que ces multimilliardaires s’acquitteraient d’importants impôts sur leurs revenus et, surtout, sur leur fortune. En fait, l’intérêt d’une étude sur les inégalités doit porter sur les revenus. Dans ce domaine toutefois, la Suisse s’affiche comme l’un des pays les moins inégaux du monde! Même Thomas Piketty le confirme.
En conclusion: si l’on veut vraiment réduire les inégalités de fortune, il faut faire en sorte que les meilleurs contribuables quittent le pays (ce qui serait la conséquence de l’initiative des Jeunes socialistes pour un impôt de 50% sur les successions et les donations). Dans ce cas, le but serait atteint. Mais il faudrait aussi faire une croix sur quelques milliards de francs de recettes fiscales.
Ce texte est paru dans L'Agefi du 5 mars 2025