IA en Suisse: adop­ter une approche équi­li­brée

La Suisse doit-elle suivre l’UE et régu­ler l’In­tel­li­gence Arti­fi­cielle ?  Pour dis­cu­ter de cette ques­tion, et aussi pour exa­mi­ner les dif­fé­rents enjeux liés au déve­lop­pe­ment de l’IA, retrou­vez l’in­ter­view de notre Direc­trice romande, Cris­tina Gag­gini, parue dans le jour­nal de la CCIG.

L’IA pré­sente des risques. Faut-il régu­ler rapi­de­ment ?


Comme toute tech­no­lo­gie dis­rup­tive, l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle (IA) pré­sente de for­mi­dables oppor­tu­ni­tés pour l’éco­no­mie et la popu­la­tion mais aussi des risques à ne pas sous-esti­mer. Faut-il pour autant régu­ler tous azi­muts et avec quelles consé­quences sur notre capa­cité d’in­no­va­tion, les gains en pro­duc­ti­vité et notre com­pé­ti­ti­vité ?  
Notre faî­tière a pro­cédé l’an der­nier à une ana­lyse appro­fon­die, avec le concours d’ex­perts des tech­no­lo­gies, des sciences, du droit et de l’éco­no­mie. Conclu­sion : l’ar­se­nal juri­dique suisse étant  – à juste titre – tech­no­lo­gi­que­ment neutre et fondé sur des prin­cipes, il s’ap­plique aussi à l’IA. C’est tout sauf un no man’s land ! Pen­sons à la nou­velle loi sur la pro­tec­tion des don­nées, aux dis­po­si­tions du Code civil sur les atteintes à la per­son­na­lité, à la loi sur la concur­rence déloyale et au Code pénal, entre autres. La pré­ci­pi­ta­tion n’est pas de mise. Au fur et à mesure des déve­lop­pe­ments de l’IA et si des lacunes sont iden­ti­fiées, des adap­ta­tions ciblées du cadre régle­men­taire pour­raient certes être néces­saires. Mais nous ne vou­lons en aucun cas d’une légis­la­tion spé­ci­fique, qui plus est sur le modèle de l’UE. Pour sa part, le Conseil fédé­ral déter­mi­nera, d’ici la fin de cette année, les éven­tuels besoins d’ac­tion basés sur la légis­la­tion actuelle. 


Pour­quoi ne pas reprendre le modèle de l’UE en cours d’éla­bo­ra­tion?


L’IA Act de l’UE pré­sente deux pro­blèmes majeurs et ne fait de loin pas l’una­ni­mité au sein des Etats membres. Pre­miè­re­ment, étant basé sur une tech­no­lo­gie spé­ci­fique et en très rapide évo­lu­tion, il sera vite dépassé et donc inef­fi­cace. Deuxiè­me­ment, il est axé sur les risques et non sur les oppor­tu­ni­tés, ce qui freine consi­dé­ra­ble­ment l’in­no­va­tion. La France, l’Al­le­magne et l’Ita­lie sont mon­tées aux bar­ri­cades. « Nous pou­vons déci­der de régle­men­ter beau­coup plus rapi­de­ment et beau­coup plus fort que nos prin­ci­paux concur­rents, mais nous régu­le­rons des choses que nous ne pro­dui­rons ni n’in­ven­te­rons plus ! » a déclaré Emma­nuel Macron. 


Dis­pose-t-on de suf­fi­sam­ment de garde-fous ?


La tech­no­lo­gie doit être au ser­vice de l’être humain. La pro­tec­tion des droits fon­da­men­taux, de la démo­cra­tie et de l’Etat de droit doivent être garan­ties. Ce n’est pas négo­ciable. La Suisse œuvre dans ce sens au sein du Conseil de l’Eu­rope, qu’elle a pré­sidé l’an der­nier. Il est tout aussi essen­tiel de conti­nuer à pla­cer l’être humain au centre des lois et se fon­der sur des prin­cipes forts, confor­mé­ment à la tra­di­tion hel­vé­tique. Je me réfère aux prin­cipes d’éthique, de trans­pa­rence, de liberté éco­no­mique, de pro­priété intel­lec­tuelle ainsi que de res­pon­sa­bi­lité rela­tive aux pro­duits et ser­vices géné­rés par l’IA. 


Quelles oppor­tu­ni­tés une régu­la­tion sur l’uti­li­sa­tion de l’IA offri­rait aux entre­prises gene­voises, et plus lar­ge­ment suisses ?


Il n’est en aucun cas dans l’in­té­rêt de nos entre­prises que la Suisse restreigne l’uti­li­sa­tion et le déve­lop­pe­ment de l’IA sur son sol. Nous nous pri­ve­rions de tech­no­lo­gies qui per­mettent d’aug­men­ter l’ef­fi­ca­cité des pro­ces­sus et  de conce­voir de nou­veaux pro­duits et ser­vices. Notre pays dis­pose d’ex­cel­lents atouts pour res­ter dans le pelo­ton de tête. A condi­tion que nos entre­prises dis­posent de marge de manœuvre et de sécu­rité juri­dique. Nous y sommes très atten­tifs.

 

Selon une crainte répan­due, l’IA pro­vo­quera des sup­pres­sions d’em­plois. Régu­ler peut-il être une solu­tion viable ?


Les inter­dic­tions ou freins tech­no­lo­giques bri­me­raient notre capa­cité d’in­no­va­tion et notre com­pé­ti­ti­vité, y com­pris des PME, ce qui affec­te­rait les emplois dans notre pays. Sans comp­ter que selon une étude de l'Or­ga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale du tra­vail (OIT) publiée l’an der­nier, l'IA géné­ra­tive ne fera pro­ba­ble­ment pas dis­pa­raître des emplois, mais les réor­ga­ni­sera en pre­nant en charge cer­taines tâches cog­ni­tives répé­ti­tives. Elle per­met­tra ainsi d’amé­lio­rer la qua­lité de l’em­ploi, tou­jours selon l’OIT. La meilleure réponse au chan­ge­ment est la for­ma­tion conti­nue et la capa­cité d’adap­ta­tion.