Prêts à deve­nir
"élec­tro­dé­pen­dants" ?

Si la Suisse était un pays de rugby, on appel­le­rait ça trans­for­mer l’es­sai. Le triomphe de la loi sur l’élec­tri­cité le 9 juin est le pre­mier pas d’un long che­min, dont la des­ti­na­tion est de garan­tir la sécu­rité d’ap­pro­vi­sion­ne­ment et des prix de l’éner­gie com­pé­ti­tifs. L’iti­né­raire est nou­veau et le tra­jet réser­vera de bonnes et de mau­vaises sur­prises, aux­quelles il faut déjà se pré­pa­rer.  Mais au fait, où met­tons-nous les pieds exac­te­ment ?

Enga­ge­ments cli­ma­tiques obligent, la Suisse devien­dra « élec­tro­dé­pen­dante ». L’élec­tri­cité rem­pla­cera tout ou par­tie des éner­gies fos­siles d’ici 2050. Alors que nous en consom­mons envi­ron 60 mil­liards de kilo­watt­heures (téra­watt­heures, TWh) actuel­le­ment, ce chiffre mon­tera à 80 ou 90 mil­liards d’ici le milieu du siècle, voire 100 selon une récente étude de l’EPFL. La pro­duc­tion quant à elle dépasse un peu 60 TWh, dont 20 à 25 viennent des cen­trales nucléaires, bien­tôt en fin de vie. Si l’on fait les comptes, ce seront donc 40 à 50 TWh de nou­velle pro­duc­tion à bâtir d’ici 25 ans.

Les étapes ins­crites dans la loi pointent dans cette direc­tion. Elles exigent 35 TWh d’élec­tri­cité renou­ve­lable d’ici 2035 et 45 en 2050, hydrau­lique non com­pris. Que cela repré­sente-t-il au juste ? Une simple divi­sion montre qu’il faut ins­tal­ler l’équi­valent d’un bar­rage de la Grande-Dixence par an pour atteindre le pre­mier objec­tif. Au début, la majo­rité de ces besoins seront cou­verts par du pho­to­vol­taïque, plus simple et rapide à ins­tal­ler que des éoliennes ou que les 16 pro­jets de bar­rages déjà pla­ni­fiés. 

A court terme, il n’y a pas d’al­ter­na­tives à l’ex­ploi­ta­tion des poten­tiels renou­ve­lables indi­gènes, en l’oc­cur­rence sur­tout solaire. Mais dès la vota­tion pas­sée, des per­son­na­li­tés ou orga­ni­sa­tions ont affirmé qu’il n’y avait pas d’al­ter­na­tives du tout. Que se pas­se­rait-il si le plan ne se concré­ti­sait pas au rythme voulu? Un pays qui devient dépen­dant de l’élec­tri­cité doit impé­ra­ti­ve­ment mettre en place toute les sécu­ri­tés néces­saires pour évi­ter le bla­ckout. Deve­nir uni­jam­biste serait le plus sûr moyen de tom­ber tôt ou tard.

C’est en effet la diver­sité qui fait la robus­tesse d’un appro­vi­sion­ne­ment élec­trique. Au vu des risques encou­rus, il s’agit de pré­pa­rer rapi­de­ment l’en­semble des mesures adé­quates pour que le sys­tème tienne le coup. Il faut en par­ti­cu­lier per­mettre de recou­rir si besoin à de grandes cen­trales, nucléaires ou autres.  Ce n’est pas être pro-nucléaire que de le prô­ner, mais se sou­cier de la sécu­rité d’ap­pro­vi­sion­ne­ment.  Par ailleurs, la Suisse devra sécu­ri­ser les impor­ta­tions d’élec­tri­cité euro­péenne par un accord avec l’UE, opti­mi­ser la mise à jour du réseau et son finan­ce­ment, pen­ser aussi à déve­lop­per le sto­ckage élec­trique. Dès aujour­d’hui, la créa­tion d’un tableau de bord s’im­pose pour pilo­ter cette muta­tion et prendre à temps les mesures cor­rec­tives néces­saires. L’élec­tro­dé­pen­dance, on peut vivre avec, à condi­tion de s’y pré­pa­rer très sérieu­se­ment.

Ce texte est paru dans l'AGEFI du 26 juin 2024