Investissements étrangers: un facteur de réussite plutôt qu’un danger pour notre économie
- Introduction L’essentiel en bref | Position d’economiesuisse
- Chapter 1 Les investissements directs étrangers en Suisse constituent-ils une chance ou un risque?
- Chapter 2 De l’importance majeure des investissements directs pour la Suisse
- Chapter 3 Le mythe d’une Suisse sans contrôle des investissements
- Chapter 4 La place d’investissement suisse doit rester ouverte
De l’importance majeure des investissements directs pour la Suisse
Un pays exportateur comme la Suisse qui s’appuie sur l’innovation est fortement tributaire d’une industrie novatrice et performante. Or, une économie à forte valeur ajoutée requiert un volume élevé de capitaux pour financer de nouvelles idées et technologies ainsi que pour se développer et conquérir de nouveaux marchés. L’évolution démographique s’ajoute à ces facteurs: avec une population vieillissante et en déclin, le manque de relève doit être compensé par une productivité accrue. Les investissements directs étrangers en Suisse jouent un rôle primordial en la matière, car ils contribuent de manière déterminante à garantir à l’économie un approvisionnement suffisant en capitaux.
Qu’entend-on par investissements directs?
Les investissements directs constituent un élément central dans la stratégie d’internationalisation de nombreuses entreprises. Contrairement à l’exportation de biens et de services, ils impliquent une influence directe et durable exercée sur les activités commerciales d’une autre entreprise à l’étranger à travers l’ouverture d’une succursale, la participation à une coentreprise, la création de filiales, l’acquisition de sociétés ou une fusion. En général, un investissement direct est lié à une participation équivalant à au moins 10% des droits de vote ou à la création d’une filiale (p. ex. établissement stable). Il représente par ailleurs un moteur essentiel du développement économique durable, car il contribue à accroître la productivité dans le pays d’accueil concerné et encourage le transfert de savoir.
La Suisse profite énormément des interactions économiques internationales, mais est extrêmement sensible aux éléments perturbateurs correspondants, comme en témoignent le commerce extérieur et les investissements directs: d’après les chiffres de la Banque nationale suisse (BNS), les entreprises domiciliées en Suisse ont investi 86 milliards de francs à l’étranger en 2016, mais ont rapatrié près de 34 milliards de francs l’année suivante, principalement en provenance d’Europe (notamment Irlande et Royaume-Uni). Cette tendance décroissante est inchangée depuis 2015. À l’inverse, des investissements directs à hauteur de respectivement 60 et 38 milliards de francs ont été réalisés à la même période dans des sociétés en Suisse. Le montant des investissements directs n’en reste pas moins impressionnant: en 2017, il s’inscrivait à 1088 milliards de francs en Suisse (163% du produit intérieur brut [PIB]) et même à 1228 milliards pour les investissements directs suisses à l’étranger (184% du PIB).
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Prendre et donner: la Suisse, en tant que pôle d’investissement, fait partie des principaux États investisseurs et bénéficiaires.
Tout comme le commerce extérieur, les investissements directs ne sont donc pas à sens unique. Si l’on se base sur l’encours mesuré par la Conférence des Nations Unies sur le commerce (CNUCED), la Suisse se classe parmi les dix premiers investisseurs directs et pays bénéficiaires dans le monde. Les fonds proviennent en majeure partie des États-Unis et de l’Union européenne: ils représentent plus de 80% des capitaux étrangers en Suisse.
À qui appartiennent les plus grandes entreprises «suisses»?
L’interaction internationale sur les marchés des capitaux et le rôle de pôle d’investissement transparaissent également dans les rapports de propriété des entreprises helvétiques. Une étude réalisée en 2015 par le quotidien alémanique Neue Zürcher Zeitung en collaboration avec UBS a révélé que les actions des 30 plus grandes entreprises suisses étaient en mains étrangères à hauteur de 82%. C’est un niveau impressionnant. La plupart des investisseurs viennent des États-Unis (43%), suivis par la Suisse (17,8%), le Luxembourg (8,5%), le Royaume-Uni (6,5%), la Norvège (6,0%), l’Allemagne et la Suède (2,0% chacune). La majeure partie des détenteurs de parts étrangers sont des sociétés d’investissement (32,9%), des participations étatiques et des fonds souverains (4,0%) et des investisseurs individuels (1,6%), les hedge funds ne représentant que 0,9%. Les investisseurs étrangers sont donc principalement des acteurs qui, par nature, recherchent des perspectives de placement à long terme.
Les investissements en Suisse créent des postes de travail et de la prospérité
Les investissements étrangers sont réalisés en Suisse pour deux raisons principalement: premièrement, ils permettent d’obtenir de nouveaux débouchés. Les entreprises étrangères entendent tirer parti du marché helvétique rentable, ou fournir le marché européen depuis la Suisse. Contrairement aux biens, les sociétés du secteur tertiaire en particulier ne peuvent souvent pas exporter des solutions spécifiques à des clients, mais les proposent sur place en investissant dans une succursale. Deuxièmement, les entreprises souhaitent bénéficier du savoir-faire local. Cela renforce la Suisse de façon substantielle non seulement grâce aux recettes fiscales supplémentaires et aux nouvelles connaissances que les entreprises étrangères apportent dans le pays, mais également grâce aux emplois créés.
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Niveau record des nouveaux postes de travail déclarés: le nombre d’emplois nouvellement créés grâce aux investissements étrangers augmente.
En Suisse, les entreprises en mains étrangères comptent plus de 460 000 collaborateurs, soit près de 11% des emplois dans l’économie privée d’après les chiffres de la BNS. Selon les calculs d’EY, elles ont créé 3416 postes supplémentaires pour la seule année 2016, la plupart étant dans la recherche et le développement. Les entreprises internationales qui investissent en Suisse tendent à concentrer leurs activités locales dans des secteurs à forte intensité de recherche et valeur ajoutée. La Suisse accueille d’ailleurs les sièges de nombreuses multinationales et beaucoup de leurs laboratoires de recherche, car elle propose un excellent accès à une main-d’œuvre très qualifiée et des conditions-cadre favorables. Cela augmente la productivité du travail, comme en témoigne la progression du salaire réel en Suisse (en moyenne, plus de 0,5% par an depuis 1975).
Hausse des investissements des pays émergents: une chance pour la Suisse
Même si les investisseurs des pays les plus riches restent majoritaires dans la plupart des multinationales, les capitaux ne proviennent plus depuis longtemps de ces seuls espaces économiques. Les investisseurs des pays industrialisés côtoient de plus en plus leurs homologues des pays émergents, dont la Chine, ce qui éveille de nouvelles sensibilités politiques. Les craintes selon lesquelles les investissements directs des pays émergents détruiraient les postes de travail au niveau national sont cependant infondées.
Les entreprises des pays émergents ont les mêmes intérêts que les autres sociétés étrangères: elles veulent s’implanter sur le marché suisse, bénéficier de la main-d’œuvre spécialisée disponible et renforcer leurs relations d’affaires avec leurs partenaires locaux. En outre, les investissements directs issus des pays émergents peuvent offrir aux entreprises suisses de nouvelles voies d’accès vers les marchés domestiques des investisseurs. Les sociétés étrangères connaissent parfaitement les particularités de leur pays d’origine et y entretiennent un vaste réseau. Leur engagement en Suisse permet de nouer des relations commerciales étroites et fournit des avantages concurrentiels aux entreprises helvétiques qui partent à la conquête de ces marchés. L’utilisation, dans les pays d’origine des investisseurs, des technologies acquises peut se révéler bénéfique pour la compétitivité de la place économique suisse, car les progrès réalisés dans les équipements techniques accroissent la prospérité et améliorent la situation écologique et sociale. L’économie contribue ainsi de manière importante au développement durable, déchargeant dans le même temps les pays industrialisés des prestations d’aide et d’assistance fournies dans le cadre de leur politique de développement.
Aucun «bradage» des entreprises suisses aux investisseurs chinois
Les investissements chinois en Europe font la une de l’actualité. Selon des analyses d’EY, le nombre d’acquisitions chinoises n’a cessé d’y progresser entre 2006 et 2016, passant de 40 à 309 par an. Cela reflète indéniablement l’internationalisation et l’interaction croissantes de l’économie chinoise à la suite d’une forte croissance économique. Dans le même temps, l’attention et le scepticisme du public augmentent en Suisse lorsqu’un investisseur de Chine souhaite reprendre une entreprise helvétique, comme lors du rachat de Syngenta par Chem China en 2016 pour un montant de 43 milliards de dollars américains, soit l’une des plus grosses acquisitions chinoises à l’étranger. Or Syngenta était déjà majoritairement en mains étrangères à cette période.
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Le rachat de Syngenta est certes l’une des principales opérations de ce type, mais les acquisitions d’entreprises suisses par des sociétés de l’Empire du Milieu ne représentent qu’une faible part tant au niveau européen que par rapport au nombre total d’acquisitions chinoises.
La statistique la plus récente sur les acquisitions indique cependant que la crainte d’investissements chinois massifs dans les entreprises suisses est exagérée: entre 2014 et 2017, on ne dénombre que 20 opérations dans lesquelles des investisseurs chinois ont pris une participation majoritaire dans une société helvétique. Selon des études de KPMG, cela ne représente que 3% des rachats d’entreprises suisses pendant cette période.
Le scepticisme est néanmoins compréhensible, car il n’est pas rare que les grands groupes chinois, dont Chem China, soient directement contrôlés par l’État ou tributaires de bonnes relations avec l’appareil du parti communiste. Si celui-ci estime qu’une acquisition présente un intérêt national du point de vue technologique par exemple, les Chinois peuvent en général proposer un prix supérieur à celui de leurs concurrents privés pour une société occidentale. L’acquisition de nouvelles technologies grâce au rachat d’une entreprise relève cependant de l’économie de marché et est préférable à une appropriation illégale ou forcée de la propriété intellectuelle.
Expérience positive des entreprises allemandes avec les investisseurs chinois
Dans une étude de 2013, PwC a interrogé 22 entreprises qui avaient été acquises par des investisseurs chinois. Il en ressort les éléments suivants: premièrement, ces investisseurs maintiennent et renforcent sur le long terme le site allemand et les emplois. Malgré le transfert de technologie, les entreprises allemandes peuvent garder à plus long terme leur avance technologique en matière de qualité et d’innovation. Deuxièmement, beaucoup d’entre elles ont pu conserver dans une large mesure leur indépendance et leurs structures opérationnelles. Contrairement à de nombreux investisseurs occidentaux, la plupart des investisseurs chinois ne se mêlent pas de la direction de l’entreprise. Troisièmement, la majorité des personnes interrogées parlent d’une situation gagnant-gagnant: les Chinois ont certes accès à une technologie supérieure et au marché européen, mais l’entreprise allemande peut, dans le même temps, s’établir plus facilement en Chine et en Asie. De plus, le transfert partiel de certaines étapes de la production a permis de renouer avec le succès sur le marché grâce à une structure de coûts plus compétitive. Enfin, quatrièmement, les barrières culturelles et linguistiques concernant la communication, le comportement décisionnel et le management ne doivent pas être sous-estimées, mais abordées de manière constructive.
Pour autant, rien ne garantit la réussite d’un transfert de savoir après une acquisition. Les collaborateurs d’une entreprise constituent ce savoir, et la créativité ne saurait se transférer d’un claquement de doigts. Il n’est pas rare que des projets de recherche internes à une entreprise soient liés les uns aux autres au-delà des frontières. De plus, la Chine n’est pas le seul pays à avoir des entreprises publiques, comme le révèlent des études de la CNUCED: près de 30% des quelque 1500 entreprises publiques multinationales viennent de l’UE et environ 18% de Chine. Les entreprises publiques ne sont à l’origine que de 2% des acquisitions réalisées dans l’UE par des investisseurs de pays tiers entre 2003 et 2016. Les chiffres devraient être similaires en Suisse.