Numérisation: défis et opportunités pour l’école
- Introduction L’essentiel en bref | Position d’economiesuisse
- Chapter 1 Qualifications requises sur le marché du travail de demain
- Chapter 2 Quelles sont les conséquences de la numérisation sur le système de formation?
- Chapter 3 Quel impact a la numérisation sur l’éducation?
- Chapter 4 Conclusion
Qualifications requises sur le marché du travail de demain
Se préparer à l’inconnu
Le changement est la principale constante de l’évolution économique depuis la révolution industrielle. Des entreprises croissent et décroissent, sont créées et font faillite ou sont reprises par des concurrents. Au cours des 150 dernières années, des branches entières ont fait leur apparition, avant de disparaître. Pourtant, le taux de chômage est resté bas en Suisse, et le nombre d’emplois comme la prospérité ont connu une forte progression. L’ère de la numérisation et de la mondialisation s'inscrit dans la continuité de cette histoire-là: de nouvelles entreprises arrivent sur le marché, d’autres perdent leur raison d’être. La seule certitude que nous ayons est que demain, tout sera encore différent. Mais nous ne devons pas pour autant nous laisser tétaniser par la peur de l’avenir. La quatrième révolution industrielle offre elle aussi des occasions formidables pour l’économie helvétique.
Il est en revanche pratiquement impossible de prédire quelles activités seront demandées, quels profils professionnels seront créés, lesquels disparaîtront, quelles branches croîtront et lesquelles déclineront. On estime que 65% des enfants qui commencent l’école primaire aujourd’hui travailleront plus tard dans des emplois et des fonctions qui n’existent pas encore.L’exactitude de ce pronostic importe peu. Nous pouvons en revanche tabler sur le fait hautement probable, est c'est là bien plus important, que les profils professionnels ne cessent d'évoluer, ce qui implique que le savoir professionnel spécifique devient rapidement obsolète et que l’apprentissage tout au long de la vie est une nécessité dont l’importance va croissant.
Ce constat a un impact majeur sur l’éducation et la formation: il nous faut préparer les enfants et les jeunes à un avenir inconnu. Certains – et ils ne sont pas rares – en concluent que vouloir transmettre des connaissances aux élèves est une idée dépassée. L’argument est le suivant: si nous ne savons pas ce que nous devrons savoir demain, rien ne sert d’acquérir des connaissances spécialisées. Ce qu’il faut apprendre c’est où trouver les connaissances en cas de besoin. Cette conclusion est fausse et dangereuse, et ce à double titre. Premièrement, chacun doit disposer d’un savoir de base pour pouvoir ne serait-ce que trier les informations qui lui parviennent. Seule la comparaison avec un bagage élémentaire préexistant permet de décider s’il s’agit d’une information crédible, vérifiable et pertinente, ou non. Deuxièmement, le savoir de demain ne naît pas du néant, mais du savoir d’aujourd’hui. Pour s’élever, il faut pouvoir prendre appui sur une base large et stable.
La question de savoir quelles qualifications seront demandées à l'avenir sera évoquée brièvement ci-après, une réflexion dont nous tirerons quelques conclusions d’ordre général en ce qui concerne l’école.
La numérisation en bref
Dans le monde numérique, les objets physiques, les événements ou les informations provenant de supports analogiques sont représentés par des chiffres. Ces informations analogiques sont converties en valeurs exactes de 0 et de 1. Au cours de ce processus, des données sont générées, traitées, archivées et transmises. Le véritable potentiel de la numérisation réside dans les possibilités qui se sont ouvertes grâce aux développements des dernières décennies. Celles-ci s’inscrivent principalement dans quatre domaines d’application: l’interconnexion, l’automatisation, la virtualisation et la réalisation.
- Interconnexion: de nombreux domaines de l’économie peuvent être reliés en continu et en temps réel grâce à l’infrastructure numérique. Il est possible de relier en réseau non seulement des machines entre elles, mais aussi des humains entre eux, ainsi que des humains et des machines. Les réseaux ainsi produits constituent la base des réseaux sociaux, de l’Internet des objets ou des interactions homme-machine dans le cadre de l’utilisation de terminaux numériques.
- Automatisation: les robots et les véhicules autonomes sont les exemples les plus remarquables de l’automatisation de différents processus. La combinaison avancée de technologies classiques et de l’intelligence artificielle produit des machines et des systèmes travaillant de manière autonome. Étant à la fois plus productifs, plus fiables et de meilleure qualité pour un coût par ailleurs inférieur, ceux-ci permettent de gagner en efficacité.
- Virtualisation: les réalités augmentée ou virtuelle font partie de la virtualisation. Elles ouvrent de nouvelles perspectives en matière de communication, de navigation et d’expériences. La réalité dite augmentée peut même faciliter l’apprentissage de nouvelles activités ou permettre de tirer parti de la réalité comme d’un espace de jeu. Quant à la réalité virtuelle, elle permet de créer de nouveaux univers utilisés notamment par le secteur du divertissement, mais aussi pour des simulations ou des présentations de produits.
- Réalisation: la numérisation permet de réaliser de nouvelles offres. Grâce à l’existence d’ordinateurs dotés de puissants logiciels ou de technologies de production telles que l’impression 3D, il est possible de développer des services ou de réaliser des produits innovants en petites dimensions tout en s’affranchissant de l’infrastructure de grands fournisseurs.
Les activités répétitives menacées par l’automatisation
Pour mieux comprendre la situation, il est utile de s’intéresser aux changements intervenus ces dernières années sur le marché du travail. Quels niveaux de formation ont fait l’objet d’une demande plus forte ou au contraire plus faible? L’OCDE a réalisé une étude intéressante qui met en lumière l'évolution des parts de l’emploi entre 2002 et 2014 aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Japon.Étonnamment et contrairement aux prévisions, la part des emplois occupés par des personnes peu qualifiées a plutôt eu tendance à s’élever au cours des dernières années. Et à l’inverse, de nombreux emplois exigeant un niveau de formation intermédiaire mais à composante répétitive ont été supprimés. Les gagnants de cette évolution sont non seulement les travailleurs très qualifiés, mais aussi ceux qui ont un niveau de formation intermédiaire mais n'exécutent pas de tâches répétitives.
Graphique 1
La Banque mondiale parvient à des résultats empiriques similaires avec une méthode légèrement différente. Ce rapport montre également qu'entre 1995 et 2012, le nombre d’emplois semi-qualifiés à forte composante répétitive a reculé considérablement dans la plupart des pays. Le nombre d’emplois hautement qualifiés s’est en revanche inscrit en forte hausse, en particulier en Suisse. Mais au contraire de nombreux autres pays, le nombre d’emplois peu qualifiés ne s’est pratiquement pas élevé en Suisse.
Graphique 2
Les activités répétitives menacées par l’automatisation
Pour mieux comprendre la situation, il est utile de s’intéresser aux changements intervenus ces dernières années sur le marché du travail. Quels niveaux de formation ont fait l’objet d’une demande plus forte ou au contraire plus faible? L’OCDE a réalisé une étude intéressante qui met en lumière l'évolution des parts de l’emploi entre 2002 et 2014 aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Japon.Étonnamment et contrairement aux prévisions, la part des emplois occupés par des personnes peu qualifiées a plutôt eu tendance à s’élever au cours des dernières années. Et à l’inverse, de nombreux emplois exigeant un niveau de formation intermédiaire mais à composante répétitive ont été supprimés. Les gagnants de cette évolution sont non seulement les travailleurs très qualifiés, mais aussi ceux qui ont un niveau de formation intermédiaire mais n'exécutent pas de tâches répétitives.
Graphique 3
Selon l’enquête du World Economic Forum (2016), les exigences relatives aux catégories de compétences ne devraient pas changer fondamentalement d’ici à 2020 au moins (voir Tableau 1).Dans de nombreuses activités, l’aptitude à résoudre des problèmes complexes devrait rester une compétence essentielle, suivie par les compétences sociales, qui arrivent en deuxième position. La pensée critique et orientée sur les processus («process skills») ainsi que la capacité à évaluer et à décider («system skills») sont également bien classées. Si l’importance des compétences techniques faiblit, les compétences cognitives telles que la pensée mathématique ou la créativité sont de plus en plus demandées. Sans surprise, le rôle des aptitudes physiques continue de perdre du terrain.
Tableau 1
Alors que l’importance respective des catégories de compétences proposées dans l’enquête du WEF ne devrait pas connaître de bouleversements majeurs, les cadres dirigeants estiment que certains emplois ou activités devraient connaître une évolution significative. Dans le domaine de la santé, par exemple, les compétences techniques ou informatiques devraient jouer un plus grand rôle. Dans les TIC (technologies de l’information et de la communication), ce sont les compétences sociales qui devraient être davantage demandées. La numérisation a par conséquent un impact considérable sur les compétences exigées des travailleurs de demain: même si les connaissances en technologies de l’information (IT) ne sont pour l’instant des compétences-clés que dans certaines branches, il faut tabler sur le fait qu’à l’avenir, elles le seront dans la plupart des professions.
Le rôle des compétences douces
Il est intéressant de constater, à la lecture de l’évaluation proposée par l’enquête du WEF et présentée dans le tableau 1, que le marché fait et continuera de faire la part belle aux compétences sociales. Ce constat est corroboré dans les grandes lignes par Heckman / Kautz (2012), qui ont pu démontrer scientifiquement le rôle central des compétences dites douces (ou «soft skills») dans la réussite professionnelle. Selon toute vraisemblance, les compétences douces (sociales, par exemple) continueront d’être déterminantes et seront souvent même plus importantes que les compétences cognitives et techniques («hard skills»). On compte de nombreuses activités professionnelles dont il est difficile de s’acquitter de manière satisfaisante sans pouvoir compter sur de solides compétences douces telles que le talent de négociateur, l’aptitude à diriger, les compétences dans le domaine des soins ou de l’enseignement. Ces activités ne sont par ailleurs guère automatisables. Dans le domaine des compétences douces, l’humain l’emporte indiscutablement sur la machine. Comparées au savoir technique, celles-ci ne sont en outre pratiquement jamais dépassées ou le sont en tout cas beaucoup plus lentement.
La réduction des tâches répétitives et l’accentuation de l’évolution économique ont pour effet d’accroître encore les exigences auxquelles les travailleurs doivent satisfaire. Ceux-ci sont par ailleurs de plus en plus nombreux à changer à plusieurs reprises de profession au cours de leur existence, une tendance qui s'est déjà dessinée au fil des dernières décennies. Ils travaillent pour différents employeurs ou optent pour la condition d’indépendant, ce qui exige d’eux une grande capacité d’adaptation. La nécessité d’acquérir sans cesse de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences au fil du temps se fait donc de plus en plus pressante.
On peut conclure de ce qui précède qu’à l’avenir, diverses qualités et compétences seront déterminantes au plan professionnel:
- Pouvoir compter sur une palette d’aptitudes variée (compétences techniques, opérationnelles, personnelles et sociales). Un profil limité à des compétences techniques, même de bon niveau, ne sera pas suffisant.
- Disposer de compétences MINT. Ces compétences, en particulier les mathématiques, la logique et la capacité d'abstraction, sont indispensables dans de nombreux emplois et leur importance est en progression constante dans de très nombreuses professions et activités.
- Pouvoir compter sur des compétences douces, qui jouent un rôle croissant dans le monde du travail.
- Être ouvert à la mobilité et à la flexibilité professionnelles.
- Faire preuve de persévérance et être acquis à l’idée d’un apprentissage tout au long de la vie.