Ini­tia­tive de la JSS sur les suc­ces­sions : qui sont les vraies vic­times ?

Rare­ment une ini­tia­tive popu­laire ne sera deve­nue aussi rapi­de­ment le feuille­ton de l’été dans les médias, pra­ti­que­ment deux ans avant son pas­sage en vota­tion. La rai­son : cer­tains entre­pre­neurs à suc­cès, comme Peter Spuh­ler, ont tiré la son­nette d’alarme.

Cela s’ex­plique : l’ini­tia­tive des Jeunes socia­listes sur les grandes suc­ces­sions est un texte extré­miste qui vise à taxer une frange très limi­tée de contri­buables; qui sou­haite les taxer aussi s’il leur venait l’idée de quit­ter le ter­ri­toire ; et qui devrait être mise en œuvre le jour de la vota­tion, sans attendre que le Par­le­ment pré­pare une loi d’ap­pli­ca­tion.

L’ob­jec­tif tout d’abord : lut­ter contre le dérè­gle­ment cli­ma­tique. Le moyen : prendre la moi­tié de tout ce qui dépasse 50 mil­lions de francs. En d’autres termes, si une suc­ces­sion vaut 500 mil­lions, 225 partent aux impôts pour finan­cer des mesures peu claires de « trans­for­ma­tion éco­lo­gique de l’éco­no­mie ». 
Vu les chiffres évo­qués, on se rend compte que le nombre de contri­buables concer­nés est rela­ti­ve­ment res­treint. On parle d’en­vi­ron  3'000 per­sonnes en Suisse. Mais ces per­sonnes peuvent sérieu­se­ment s’in­quié­ter, notam­ment en rai­son des mesures vou­lues pour empê­cher l’évi­te­ment fis­cal (par le départ à l’étran­ger) et l’ap­pli­ca­tion au jour de la vota­tion. Nombre d’entre elles ont déjà consulté leurs conseillers fis­caux pour éva­luer s’il ne vaut pas mieux par­tir avant la vota­tion. 

A titre d’exemple, Peter Spuh­ler  a annoncé qu’il se trou­ve­rait forcé d’en­vi­sa­ger un démé­na­ge­ment anti­cipé, pour évi­ter que ses héri­tiers doivent vendre tota­le­ment ou par­tiel­le­ment l’en­tre­prise afin de payer de 1,5 à 2 mil­liards de francs d’im­pôt. Cette ini­tia­tive est donc une menace sans pré­cé­dent sur le modèle de l’en­tre­prise fami­liale, gage d’em­plois sûrs et pérennes.

Si le Conseil fédé­ral et le Par­le­ment n’ar­rivent pas ras­su­rer for­mel­le­ment les contri­buables visés, ceux-ci démé­na­ge­ront, sans tam­bour ni trom­pette. A ce moment, les consé­quences seront dévas­ta­trices, comme l’es­time elle-même une par­le­men­taire socia­liste. Il faut être conscient que le 1% des contri­buables aisés en Suisse s’ac­quitte glo­ba­le­ment, année après année, de mil­liards de francs d’im­pôt (IFD et impôts can­to­naux et com­mu­naux sur le revenu et impôt sur la for­tune). 

En cas de départ des contri­buables les plus riches (avant la vota­tion), les pertes fis­cales seraient lourdes. Les vraies vic­times d’une telle ini­tia­tive seraient donc les contri­buables suisses et la classe moyenne, charge à eux de com­bler les trous. En revanche les « inéga­li­tés de for­tune » dimi­nue­raient méca­ni­que­ment en Suisse. Iro­ni­que­ment donc, l’ob­jec­tif de la gauche suisse d’une réduc­tion des inéga­li­tés serait atteint, mais par… manque d’ar­gent à redis­tri­buer. Et la lutte cli­ma­tique à la sauce col­lec­ti­viste fini­rait le bec dans l’eau. Un bel auto­goal ! 

La bonne nou­velle : les per­sonnes son­dées par Demo­scope / Wat­son sont déjà plus de 70% à reje­ter l’ini­tia­tive.

Cet article est paru dans L'Agefi le 14 août 2024